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Il existe peu d'albums pour lesquels on peut sans hésiter employer les qualificatifs suivants: légendaire, fondateur, mythique, et mettre un 10 les yeux fermés. Anthems To The Welkin At Dusk est de ceux-là.

Tant sur les plans musicaux que personnels, Emperor est le groupe d'un homme: Vegard Sverre Tveitan, alias Ihsahn. Norvégien de son état, il fonde le groupe en 1991 avec son comparse de toujours, Samoth, sur les cendres d'un combo de death. Rejoints par Mortiis, qui les quittera bientôt pour fonder son propre concept black-ambient, ils vont publier une démo culte, Wrath Of The Tyrant, ainsi qu'un album qui rentrera dans les annales, In The Nightside Eclipse.

C'est à ce moment-là que les choses comment sérieusement à se gâter. Proches de l'Inner Circle (sorte de secte black-metal norvégienne, pour faire court), certains des membres du groupe seront mêlés à des évènements plus ou moins tragiques et qui défraieront la chronique au début des années 90. Leur nouveau batteur, Faust, sera condamné en 1994 pour meurtre et sera définitivement éconduit. Samoth, à son tour, sera convaincu d'avoir participé à un incendie d'église avec Varg Vikernes (Burzum), et purgera seize mois de prison. Toute l'histoire de l'Inner Circle, avec l'assassinat d'Euronymous et la fin tragique de Death sont relatés dans le célèbre livre Les Seigneurs Du Chaos, que je vous encourage à lire. Dans ce livre on apprend que très vite, sans doute un peu plus malin que les autres, Ihsahn prendra ses distances avec le cercle et ses méthodes difficilement excusables, pour se consacrer à la musique.

Dès la sortie de prison de Samoth, fin 1996, le groupe se reforme avec un nouveau batteur, Trym, un ancien d'Enslaved, et entre en studio à Bergen, Fort du succès d'In The Nightside Eclipse, le groupe se lance dans un projet dont ils ne devinent peut-être pas encore la portée future: tout simplement, poser un jalon dans l'histoire du metal.

Anthems To The Welkin At Dusk est un album parfait, de bout en bout. Empli de mysticisme occulte, les thèmes s'éloignent déjà de l'imagerie traditionnelle qui fait fureur à l'époque parmi les groupes extrêmes scandinaves, à savoir Satan, Odin et Mère Nature. En avance sur son temps, le groupe propose un black metal dense, fin et racé, en évitant habilement les poncifs du genre. Dès la première ambiance, le ton est donné: rythmique moins évidente, mélodies complexes et structures alambiquées, le groupe a su se renouveler et renouveler son metal. A ce titre, Alsvartr est un modèle d'intro: structurée, évolutive, longue sans durer, elle annonce la couleur avec perfection. Dès les premières minutes, on sait qu'Emperor nous offre là son meilleur effort, et même si le groupe saura évoluer plus tard sans perdre son âme black-metal il n'atteindra plus jamais un tel niveau de maestria.

Pour autant, il ne faut pas se leurrer, Emperor est, et reste un groupe extrême. Lorsque le riff de Ye Entrancemperium (inspirée d'une démo abandonnée de Mayhem) nous claque en pleine gueule, on se rappelle alors que les norvégiens ne sont pas là pour rigoler, mais plutôt pour nous en mettre plein la tronche. Sépulcrale et stridente, la terrible voix d'Ihsahn ajoute à la violence démoniaque du groupe qui joue à une vitesse phénoménale. Tout de suite nombreux, les cassures rythmiques et les brefs passages mélodiques s'enchainent comme des perles sur un chapelet hérétique, et la puissante technicité du groupe prend à la gorge. A l'époque où beaucoup de leur petits copains en étaient encore à enregistrer des démos pourraves au fond de leur cave, Emperor avait introduit une nouvelle dimension au black metal grâce à Nightside: violence et dépravation sonore oui, mais avec une qualité technique irréprochable. C'est le credo d'Ihsahn, et on retrouvera cette touche perfectionniste dans ses albums solos. Sur Anthems, cette notion est élevée au rang d'art: pas une fausse note, pas un break qui ne soit parfaitement maîtrisé. Les uns après les autres, les morceaux de l'album sonnent comme autant de pierres dans les jardins de quasiment tous les groupes extrêmes de l'époque. A la manière d'un Sergeant Pepper, qui avait tétanisé la concurrence en 1967, trente ans plus tard Anthems est un peu là pour apprendre la vie à tout le monde, et le paroxysme de cette démonstration est atteint sur l'avant-dernier morceau, With Strength I Burn.

C'est dans cette pièce légendaire qu'Emperor et Ihsahn vont atteindre leur Graal: en l'espace de huit minutes démentielles, plus rien ne sera comme avant. Parti à fond de train sur un riff destructeur, le morceau va s'attacher à nous dérouter par ses passages chantés, toujours sur un grondement infernal perpétré par Trym et Alver (basse). Au loin, une mélodie de claviers lancinante tente de se frayer un chemin mais peine perdue, comme un symbole, l'avalanche occulte est trop forte. C'est sur les terribles mots d'Ihsahn (Though, I know not what will burn) que retentit alors un des plus grands moments de l'histoire du metal, par le biais d'un solo d'une pureté mélodique aérienne, où le groupe semble contredire tout ce qu'il a fait jusque là, pour mieux dérouter l'auditeur. Simple et beau, ce solo fait chavirer l'âme vers une sombre noirceur, comme un gouffre infini et inéluctable. Pour tout vous dire, je crois avoir écouté ce passage des centaines de fois.

La violence ahurissante du groupe et la beauté céleste de sa musique sont intimement mêlées, sur With Strength I Brun comme sur le reste de l'album. On sort de ce morceau complètement chamboulé, déboussolé, ne distinguant plus le nord du sud et prêt à prendre la nationalité norvégienne. Comme s'il avait prévu cet effet dévastateur, le groupe termine en beauté avec The Wanderer, courte pièce instrumentale sur un mid-tempo plus classique, ce qui a pour effet de calmer un peu les esprits. Tout va bien, ni Crowley ni Cthulhu ne vont surgir du haut-parleur, et la meilleure chose à faire est encore de se réécouter l'album. Je invite derechef à vous y plonger, ceux pour lesquels ça n'est pas encore fait, car même s'il est vrai que le fond très agressif du black-metal est bien présent, Anthems To The Welkin At Dusk transcende complètement les limites du genre, pour se hisser au panthéon de la musique moderne.

0 Comments 17 avril 2011
Whysy

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