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En mars 1971, le groupe Jethro Tull, nommé d'après un célèbre agronome britannique du XVIIIè siècle, publie son quatrième album, étrangement intitulé Aqualung.

Petit parenthèse avant de continuer, pour les curieux : aqualung, kézako ? Littéralement poumon aquatique dans le langue de Shakespeare, c'est un modèle de scaphandrier développé par Cousteau, mais là en fait, c'est le nom d'un clodo, pervers et détraqué, illustré sur la pochette de l'album, et dont l'histoire est racontée dans le titre éponyme qui ouvre l'opus.

Voici un album magique, totalement britannique dans son esprit et dans la culture populaire qu'il développe. Parfois heavy, souvent folk, plein de flûte, de riffs et de guitares acoustiques, il est l'oeuvre d'un homme, le génie, l'ultime, le complètement barré Ian Anderson.



Mais reprenons du début. Courant 1962, Ian Anderson, chanteur, flûtiste et guitariste, forme un premier groupe, avec déjà deux membres du futur Jethro Tull, Jeffrey Hammond à la basse et John Evans aux claviers. En 1967, ils déménagent à Londres, prennent le nom de Jethro Tull et embauchent Clive Bunker à la batterie. Les débuts sont un peu complexes : certains membres font des allers-retours, on signale l'arrivée du génial Martin Barre aux guitares, trois albums plus ou moins réussis se succèdent, Tony Iommi fait un court séjour avant de retourner à son sabbat, et enfin le groupe se réunit pour enregistrer son œuvre la plus aboutie à la fin de l'année 1970.

Sur Aqualung, manifeste prog/heavy-rock/néo-folk, on peut donc entendre Ian Anderson (flûtes, chant et guitares sèches), Clive Bunker (batterie), Jeffrey Hammond (basse), John Evan (claviers) et Martin Barre (guitares électriques).



D'entrée de jeu, le riff gras d'Aqualung mené par des breaks irréguliers aux toms et caisse-claire annonce la couleur. Sur une musique un peu démente, la voix lunatique très particulière d'Anderson va se faire, tout à tour, douce et mélancolique, criarde et furieuse, alcoolisée, hautaine, et chuchotante. Son sens de la mélodie unique mis au service de ses talents de conteur est le cœur du son Jethro Tull, et la quintessence du prog.

Quintessence non pas dans le sens où des éléments symboliques seraient développés, ni dans le sens  où on pourrait y lire une avancée dans le domaine, marquant des jalons et des repères réutilisés plus tard (pour ça, voyez plutôt Genesis, Yes ou King Crimson). Quintessence dans le sens où Aqualung est un parfait exemple de l'esprit prog plutôt que du son prog, à savoir le cross-over, le mélange des genres, la mixture légèrement diabolique. Voyez plutôt.

Du story-telling accoustic-prog barré, pervers et triste d'Aqualung, on passe à un heavy-blues assez lourd avec Cross-eyed Mary. La comptine pastorale Cheap Day Return nous plonge au milieu d'un champ anglais, mais succinctement, le temps d'une minute, comme un pied de nez, avant l'épique Mother Goose, dont les flûtes évoquent un conte médiéval, alors que les paroles seraient plutôt un hommage au nonsense carollien si cher à la perfide Albion. La courte ballade pop-folk Wond'ring Aloud et la drinking song Up To Me continuent de nous dérouter, et finissent cette première face dans une ambiance assez délirante, le travail merveilleux de Martin Barre sur ce dernier morceau forçant le respect et contribuant à créer une ambiance bien particulière.



L'autre face est plus ou moins du même tonneau, et on peut y trouver le sublime My God, où Anderson fait démonstration de sa superbe technique, et le tube Locomotive Breath.

Plus heavy que beaucoup de ses contemporains, Jethro Tull affectionne le mélange intriguant que forment ces riffs lourds et efficaces, le finger-picking folk et les envolées démentes de flûtes, sans doute la marque définitive du groupe. Un son à part, une philosophie étrange et une formation au service de ce grand raconteur d'histoire qu'est Anderson, voici Jethro Tull, et son album le plus marquant, Aqualung.

Sur cette pièce maîtresse, les musiciens sont à leur apogée, et les solos de flûtes (l'incroyable, jazzy et expérimental My God) et d'électrique (celui d'Aqualung va marquer des générations de guitaristes) se répondent avec virtuosité, appuyés par une rythmique impeccable, et franchement embellis par une production au sommet. C'est bien sûr la personnalité d'Anderson qui fait de ce superbe édifice un monument à part dans le monde du prog, par son verbe, sa voix merveilleuse et sa flûte unique.

Le groupe se lancera plus franchement dans le prog sur ses deux albums suivants, l'inégal A Passion Play et le superbe Thick As A Brick. Par la suite, de nombreux opus viendront, certains au-dessus du lot (Minstrel In The Gallery en 1975, Songs From The Wood en 1977, Heavy Horses en 1978). Anderson, répugnant à changer sa formule gagnante, finira par incarner Jethro Tull à lui-seul (toujours accompagné du fidèle Martin Barre), produisant de nombreux albums dispensables, sans jamais parvenir à renouer avec la magie que fut Aqualung.

Vingt-et-un albums en tout, de This Was (1968) à The Jethro Tull Christmas Album (2003), forment une carrière hétéroclite, souvent marquée par la période dorée des années 1970-78, rarement originale et passionnante en dehors de la-dite période. Il est pourtant bon de se replonger dans les premières œuvres de Jethro Tull, tant leur virtuosité et leur créativité ont force de loi, tant l'attitude et le jeu démoniaque d'Ian Anderson en font un des acteurs majeurs du prog des seventies.

0 Comments 24 juin 2012
Whysy

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