Vous recherchez quelque chose ?

Ah, splendeur, majesté et passion que cet Eremita. Que de violence et de beauté dans le nouvel album du génie norvégien, devenu spécialiste du contre-pied. Après avoir atteint le climax du black sympho-prog avec Emperor, Ihsahn semble ici avoir trouvé enfin son apogée créative, à mi-chemin entre les mélodies brutes de The Adversary et l'avant-garde black languissant d'After.

Eremita, l'ermite en latin, se résume en un mot : puissance. Puissance dans les riffs, puissance dans la production parfois mastodonte, puissance dans les cris et les chœurs, et puissance affirmée dans les mélodies dantesques. Lorsqu'Eremita se fait plus calme, c'est par courtes séquences, tel le complexe et sublime Departure. Mais j'y reviendrai plus tard.

Vous ne connaissez pas très bien Ihsahn ? Le fouillis sonore que peut représenter Emperor aux oreilles non-accoutumées a tendance à vous sortir par les trous de nez ? Écoutez Eremita sans attendre, vous y découvrirez le meilleur de Vegard Sverre Tveitan, plus grand artiste norvégien depuis 1944 et la mort du célèbre Edvard Munch.

Néanmoins, soyez tout de même un peu prudent, et je le dis à chaque fois que je parle d'Ihsahn ou d'Emperor : on est loin de Bon Jovi. Bien sûr c'est de l'avant-garde, évidemment il y a du saxophone, mais tout de même, gaffe, c'est du black metal. Pas du true bien sûr, du bien produit, du black d'intello, complexe, même parfois fin et racé, les connaisseurs y verront sans doute une certaine touche de délicatesse, mais quand même, du black. Alors oui y a des cris, souvent violents, et des riffs à atomiser un canard, et une section rythmique bien lourde et bien speed.

Et pourtant. Vous aurez beau y chercher la bouillie indigeste du dernier Carach Angren vous ne la trouverez point, car avec Ihsahn, une chose est claire : rien n'est laissé au hasard. Pas une note ne dépasse de ce monument, pas le moindre iota de faiblesse, pas la moindre lézarde dans l'architecture monolithique qu'est Eremita.

Et qu'est-ce qu'on y entend, sur cet ermite bien mal nommé, Ihsahn n'ayant jamais été aussi bien entouré ? Eh bien on y entend un mélange savamment étudié de riffs agressifs et directs (Arrival, The Paranoid), de structures complexes et prog (Introspection, The Eagle and the Snake, Departure), de larsens de saxo sur fond d'ambiances doom (Catharsis, The Grave), et enfin, un instrumental assez poignant et inquiétant (The Grief).

On y trouve aussi des invités, desquels je retiens surtout Devin Townsend (Introspection), et le retour d'Ihriel aux côtés de son mari (Departure). A noter également la présence remarquée de Jeff Loomis et d'Einar Solberg, venu en voisin. Enfin, on notera quelques légers clins d’œil, volontaires ou non : la part de Hammond sur Arrival, qui me fait franchement penser à un Jon Lord jouant du Uriah Heep sous ecsta, l'intro de Departure qui a le mérite de nous rappeler que nous attendons le prochain Summoning depuis bientôt mille ans, et le superbe Something Out There, sorte de réminiscence de la grande époque d'Emperor, curieusement mélangé à des structures rythmiques évoquant Angl.

Voilà pour la vue d'ensemble. Et maintenant, revue de détails. Je vais m'arrêter plus longuement sur trois morceaux qui sont véritablement les sommets de l'album : Introspection, The Eagle and the Snake et Departure.

Ces trois pièces ont en commun d'être les plus progressives de l'album : les riffs sont plus complexes, les structures plus élaborées s’enchaînent encore mieux. Le duo Devin/Ihsahn sur Introspection fonctionne à plein, le superbe refrain de The Eagle and the Snake (qui évoque un peu Frozen Lakes On Mars) est une franche réussite, surtout dans sa deuxième partie, aux contre-temps alambiqués, et l'apparition angélique d'Ihriel est, à mon avis, le meilleur moment de l'album.

Departure est à de nombreux titres l'Everest d'Eremita, et il n'est pas loin d'être l'un des plus grands morceaux jamais écrit par Ihsahn. L'intro, comme je l'ai déjà dit très Summoning-friendly, est une montée en puissance assez pesante et dramatique, et cette intensité étouffante sera le fil rouge de la pièce. Accompagné par une section de cuivres dérangeante et soutenu par une rythmique à défier les titans, Ihsahn lâche les chevaux, mais sans à aucun moment tomber dans le mélo. Derrière son cri guttural on sent une âme dérangée, un abîme de démence, sensation saisissante et qui montre bien le talent de l’interprète car, comme vous le savez peut-être, Ihsahn n'est pas le genre à brûler des églises ou assassiner des homosexuels dans un parc. C'est un artisan, un orfèvre patient et posé, mais qui sait se transformer lorsqu'il joue et exprimer toute une palette d'émotions variées. La preuve avec le souffle jazzy qui transforme complètement le morceau en l'espace de quelques secondes, avant que celui-ci ne retombe dans les excentricité ego-maniaques précédentes. Il quasi-impossible de décrire de manière linéaire ce genre de morceau, je ne ferai que lister les structures sans rendre hommage, justement, au talent d'Ihsahn, que l'on retrouve chez les compositeurs progs les plus doués : une capacité exceptionnelle à passer d'une structure à l'autre sans cassure, sans donner l'impression de surjouer, avec cohérence et cohésion.

Ils sont rares à posséder ce talent, à avoir cette vision d'ensemble, à être capables de réfléchir à leur musique sans tomber dans la masturbation intellectuelle, et Ihsahn, avec Eremita, s'impose pour longtemps comme l'un de ces grands.

Après un début d'année marqué par nombre de déceptions, en voilà un qui, sans doute, sera l'un des plus sérieux candidats au titre d'album de l'année. Vivement 2014 !

0 Comments 06 juin 2012
Whysy

Whysy

Read more posts by this author.

 
Comments powered by Disqus