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Ah, si j'avais la chance, le plaisir immense, la gratification éternelle de rencontrer mon héros, Steven Wilson, Steve le Grand, Stef le magnifique, je lui dirais que j'ai pigé, maintenant. Oui, je sais, et je comprends.

Je comprends pourquoi le dernier Porcupine Tree était aussi décevant, pourquoi Insurgentes avait un tel sentiment d'inachevé, pourquoi il s'était tant effacé lors du dernier opus de Blackfield, c'est évident à présent. En fait, Wilson en avait gardé sous la pédale pour son deuxième album solo, Grace For Drowning, œuvre monumentale dont la magnificence et l'excellence dépassent l'entendement.

J'en fais trop? Sans aucun doute, et vous sentez venir le 10 du fan extatique, la note maximale donnée par une jeune fille en pleurs devant son Robert Pattinson perso, l'exagération malvenue, la bourde. Je vous rassure, il n'en est rien. Il n'en est rien parce que Grace For Drowning est tout sauf un album facile pour minettes, tout sauf l'évidence même.

Long, complexe, presque hermétique, ce deuxième album solo du Britannique est un voyage périlleux, entre expériences sonores et mélancolie contemplative. Mais surtout, on sent que c'est l’œuvre ultime du maître, celle où il a mis tout son talent, et rassemblé toutes ses influences. Jusque dans la liste d'invités on sent que Wilson a voulu avant tout se faire plaisir et célébrer, comme une récompense qu'il se serait offerte à lui-même, ses longues années d'intégrité artistique et musicale. En effet, la présence sur l'album de Steve Hackett (Genesis), Tony Levin et Trey Gunn (King Crimson), ou encore Jordan Rudess (Dream Theater), donne lieu à un vrai jeu de piste puisque Wilson n'a pas communiqué sur les parts de chacun, et qu'on ne sait donc pas qui fait quoi !

Tout est là. Toute la qualité de Steve, et toute son intégrité : il n'invite pas des stars pour les faire briller, ou se faire briller à leurs côtés, mais bien pour faire briller son album. Qui fait quoi n'a donc que peu d'importance, et je dirais même que ça rajoute aux sentiments de globalité et de cohérence qui se dégagent de Grace For Drowning.

Qu'est-ce qu'on entend sur cet album ? Eh bien on entend un peu de tout, mais surtout du jazz. Du moins c'est ce qui marquera le plus l'oreille non-initiée. Parce qu'en fait, pour le fan des travaux de Steve, on entend de tout, sans jamais quitter un dénominateur commun : c'est du Wilson. Deform To Form A Star rappelle les grandes heures pop-prog de Porcupine Tree et aurait fait bon effet sur Stupid Dream, et Postcard sonne comme à un hommage à son compère Aviv Geffen qu'il a malheureusement quitté récemment. Je ne cite là que les deux plus marquantes mais les allusions sont nombreuses, et on pourrait croire que cet album n'est qu'un immense clin d'oeil si ce n'était en fait l'inverse : cet album c'est Wilson, dans sa complexité et ses influences parfois différentes. C'est comme si, en quelque sorte, ses œuvres précédentes étaient un clin d'oeil proleptique à celle-ci.

Je vais, pour faire simple, séparer les 12 chansons de cet album en trois catégories distinctes : le prog-pop que l'on connait bien, les ambiances vaporeuses ou les bluettes mélancoliques et les complexes développement jazz.

Pour attirer le chaland, je vais commencer en terrain connu ! En effet, sur Deform To Form A Star, No Part Of Me, Postcard, Remainder The Black Dog et Like Dust I Have Cleared From My Eyes, le fan de Porcupine Tree va retrouver sans aucune difficulté les ambiances qu'il aime. Deform To Form A Star, par exemple, est une magnifique ballade, aux sonorités chaudes, et à la production particulièrement léchée. Effluves de mellotron, accords simples de piano, discrets roulements de caisse-claire, et en plein cœur du morceau, un sublime solo de guitare, mélodique et superbe, dont le final me fait tellement penser à Robert Fripp que je me demande s'il n'est pas exécuté par son plus célèbre élève, à savoir Steve Hackett, grand parmi les grands du prog. Le solo final est lui sans aucun doute interprété avec maestria par Wilson lui-même, tant son style est aisément identifiable. L'artiste nous gratifie d'une outro dont lui-seul a le secret, sans doute une des plus belles séquences musicales qu'il ait composé, dont les choeurs magnifiques sont à ranger aux côtés de ceux qui ornent les fantastiques How Is Your Life Today ? et Lips Of Ashes. Dans cette catégorie, on va d'une ballade plus simple comme Postcard aux développements progs plus complexes à la Porcupine Tree, teintés, comme souvent, d'ambiant, un des premiers amours de Wilson, ce que ceux qui ont lu ma rétro du groupe savent sur le bout des doigts.

Les ambiances, tout est là. Sur des morceaux plus courts, comme Grace For Drowning ou Belle De Jour, non content de réussir l'exploit de faire enfin accepter à Rudess de jouer simple et beau, Wilson développe son talent unique pour la mélodie qui vous tire les larmes. Je prend pour exemple Belle de Jour, jouée simplement sur deux guitares, et que le superbe accompagnement de claviers transforme en grand moment de mélancolie. Les harmonies sont incroyables, et la qualité du travail de Wilson est encore une fois frappante.

Mais tout cela vaudrait un bon 8 ou un 9, et serait sans doute à classer parmi les beaux et bons albums de 2011, si on en oubliait la partie la plus avant-gardiste, la plus hallucinante, la partie jazz-prog. En deux morceaux qui se font écho, Sectarian et Raider II, Wilson frappe fort, très fort.

C'est sur Raider II que je vais surtout m'attarder. Vingt-trois minutes exceptionnelles, un chef d'oeuvre, tout en hermétisme et complexité, tout en longs développements, à l'opposé de n'importe quel groupe de prog moderne, bruyant et délirant. Wilson y va en douceur, il commence par poser lentement les bases de son architecture. Presque trois minutes de minimalisme, brutalement coupées par un refrain atonal et puissant, sorte d'éclat de foudre turgescent et tordu au milieu d'un océan de brume. Après s'être (un peu) calmé, le deuxième refrain surprend : sur les mêmes bases harmoniques et rythmiques, les choeurs synthétiques ont été remplacés par un solo de flûte de Theo Travis, complètement jazz, que les amateurs d'Eric Dolphy apprécieront à sa juste valeur. Travis, dont les fans se rappellent l'intervention merveilleuse sur Don't Hate Me, illumine de son jeu léger et fantasque les moments qui suivent, mais l'accalmie ne dure pas. Rageur, le refrain revient à la charge, et cette fois c'est un gros riff presque death qui s'en mêle, et qui entraîne avec lui le morceau qui s'emballe dans une frénésie de notes et de cymbales. Las, ce n'était que pour mieux se replier vers une geste de sax jazzy et atonal, où Travis fait encore des siennes. Le maestro se fait cette fois « coltranien », et cette séquence marque la fin de la première partie de Raider II.

Après un interlude de sons étranges et de nappes vaporeuses, l'argument mélodique qui sous-tend la deuxième morceau fait doucement son apparition. Il s'agit d'une sortie typique de Porcupine Tree cette fois, et on est passé subtilement du jazz un peu prog au prog un peu jazz. Sur un riff de guitare en arpèges, quelques solos de flûte viennent rappeler à l'auditeur que tout n'est pas encore fini, mais l'essentiel est là : comme émergeant d'un long rêve, on se retrouve en plein milieu d'un espace apprivoisé, de territoires familiers. Tout est bien qui finit bien ? Malheureux que vous êtes, Wilson n'en a pas finit de vous surprendre : furia ! Dans un maëlstrom de notes, il assène son point de vue, et nous fait, définitivement, tomber sous le charme. L'outro, une ambiance minimaliste à la King Crimson, est comme un sas de décompression, et nous guide délicatement vers le morceau qui clôt l'album, Like Dust I Have Cleared From My Eyes. Comme un pied de nez, c'est une ballade des plus simples, toute en finesse et beauté, aux ambiances apaisantes et réconfortantes.

C'est sur cette note chaleureuse que se termine Grace For Drowning, double album particulier et exceptionnel. Si Wilson a lui-même déclaré qu'il fallait plutôt le considérer comme l'addition de deux disques différents, je lui trouve une cohérence d'ensemble, et pour moi il s'agit d'un seul voyage, long, épique et tumultueux, qui vous emmènera sans réserve sur des rivages inconnus où vous ne vous attendiez pas à accoster. Sans conteste l'album de l'année 2011 en ce qui me concerne.

0 Comments 18 mars 2012
Whysy

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