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Comment un groupe, autrefois terrifiant de puissance et de majesté, dont les constructions harmoniques incroyablement complexes tétanisaient l'auditeur, le plongeant dans une transe sacrée, comment ce groupe fabuleux a-t-il pu devenir aussi inoffensif, pauvre et pathétique, ruinant en un seul album des années d'efforts pour regagner la confiance de ses adorateurs, saccagée avec cynisme dans les années 80? L'ancien gourou, harpiste, lyriciste (et chanteur magique à ses heures perdues) du groupe, Jon Anderson, a une réponse très simple à cette question. Il la donne à nos confrères d'Ultimate Classic Rock, dans une excellente interview: "Je sais ce que j'apportais [au groupe], et ce qui manque est ce que j'apportais, tout simplement".

A côté de ses pompes le Jeannot? Totalement imbu de son propre talent? Peut-être. Mais sur le coup je le trouve plutôt lucide. Parce que cet Heaven & Earth n'est pas vraiment un album de Yes, on dirait plutôt un album de papis qui essaient de faire du Yes. Le genre de groupe que vous croiserez peut-être lors d'une fête de la musique, si vous avez de la chance. Sinon ce sera Toto et Dire Straits. C'était quoi, Yes, y a encore pas si longtemps? C'était une certaine forme de maestria technique par exemple. On en est très loin pour le coup, et parfois même ça sonne faux, maladroit, mal foutu, à peine travaillé.

A peine travaillé? Mais putain les gars vous vous foutez de la gueule de qui? J'écoute pas Yes pour me taper une répète mal agencée, ou des démos bancales, je laisse ça aux puristes de l'édition Deluxe, "nan mais écoute c'est excellent y a une version de Parallels toute pourrave avec seulement trois instruments et plein de pains de Steve Howe, c'est génial et authentique!" Non, ce n'est pas génial, et si c'est authentique eh ben y a de quoi s'inquiéter. Heaven & Earth donc, ressemble à un assemblage d'extraits des répétitions du groupe, enregistrés à leur insu, et bricolés à la va-vite. Si c'était vraiment le cas ce serait déjà triste, mais vu qu'en plus on peut imaginer qu'ils ont réfléchi le truc, qu'ils ont peut-être même bossé sur l'album, là ça devient carrément flippant.

Non content de nous imposer un énième clone de Jon Anderson (j'exagère, un deuxième clone, allez), le reste du groupe est aux fraises, et surtout Steve Howe, qui a du mal à aligner deux notes correctes de suite. Mais si ce n'était que ça, on pourrait fermer les yeux. Le vrai problème, le défaut majeur de cet album, c'est la qualité des morceaux, qui sont en grande majorité complètement indignes, indignes de Yes, indignes du prog, indignes du rock. Ecoutez Step Beyond ou In A World Of Our Own, on a l'impression qu'ils ont été écrits par Henri Dès. Et encore, si ce bon vieux Henri était à la manœuvre au moins on aurait pu se marrer et reprendre le refrain en chœur dès la deuxième écoute. Là, c'est l'ennui, le gouffre, le vide abyssal.

Yes, en des temps immémoriaux (qui remontent au moins à 2011, en trichant un peu puisque l'excellent morceau Fly From Here avait été écrit à la fin des seventies), Yes, c'était un sens de l'expérimentation, une certaine forme de courage musical, des mecs capables d'assumer une grandiloquence à faire passer Muse pour un trio punk, des lyrics new-age sans queue ni tête déclamés par un Jon droit dans ses bottes, un groupe arrogant pour auditeurs possédant une légère tendance à la masturbation intellectuelle, bref, des génies, en un mot: des Rosbifs. Vous découvrirez, en entendant l'intro de Subway Walls, que Downes est tellement ratiboisé qu'il a dû ressortir le Bontempi de son neveu de 12 ans pour pouvoir composer cette ridicule et pathétique piècette. Et je ne vous parle pas de son solo sur ce même morceau. Partout les rythmiques sont basiques, les mélodies simplistes, les instruments à peine accordés, et le son est horrible. Je vous jure qu'ils devaient être en répète dans la salle de bains de Davison je ne vois pas d'autre solution.

Et pourtant. Et pourtant, vous sentez venir le twist ringard à la Shyamalan, n'exagérons rien, mais tout de même, il y a un "et pourtant". Si on écoute le nouveau chanteur du groupe, Jon Davison, il nous explique que c'est à un Yes plus léger auquel nous avons droit. Qu'en fait, toute cette superficialité est volontaire, les mecs n'avaient pas envie de faire du prog hardcore comme en 73 et donc ils ont pondu un album d'easy-listening. Si on passe l'évident coup de bluff/impressionante démonstration de mauvaise foi (sincèrement, même s'il l'avait voulu ce Yes-là est incapable de faire quoi que ce soit comme en 73), Davison n'a pas complètement tort, et si on arrive à oublier que trois mecs sur les cinq étaient en studio quand le groupe a enregistré Awaken en 1977 on en vient presque à apprécier certains morceaux.

Les deux premiers, par exemple, Believe Again et The Game, c'est ridicule et naïf mais une fois la pilule avalée, on se surprend à fredonner assez facilement les mélodies, et presque à dodeliner de la tête avec entrain. C'est un peu comme si du jour au lendemain Martin Scorsese avait réalisé Expendables 2, on crierait au scandale avec les autres mais on en viendrait quand même à kiffer le truc, parce que ça a beau être de la merde, parfois faut se vider le cerveau, ne serait-ce que pour pouvoir aider TF1 à nous le remplir. Light Of The Ages également, et la deuxième partie de Subway Walls, laissent presque quelques regrets, puisqu'on est pas loin d'y entendre quelques bonnes idées. Le refrain de Subway Walls, par exemple, est carrément bon. Incroyable n'est-ce pas?

Sincèrement je l'aime bien cet album, malgré le fait qu'il soit un étron de la mort. Enfin j'aime bien quatre morceaux mais c'est déjà pas mal. Sauf que c'est Yes, merde. Je ne vais comparer avec personne pour éviter qu'on se fâche à peine la rentrée commencée mais je vous laisse imaginer, y a des groupes pour lesquels un album de ce calibre est devenu une habitude, et on s'y fait, mais là putain, non, c'est Yes. On va se consoler en se disant que ce n'est peut-être pas le pire de leurs albums, qu'il y aura toujours Union et Big Generator dans les parages, mais jamais je n'avais entendu ce groupe s'abaisser à un tel niveau de médiocrité avec tant de candeur et de naïveté.

Peut-être qu'un jour on apprendra qu'en fait c'était un "early rough mix" qui a leaké, qu'un ingé son s'est planté et a balancé les démos au lieu des versions travaillées, et qu'en fait le recrutement de Jon Davison était un poisson d'avril. Peut-être.

0 Comments 21 août 2014
Whysy

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