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Troisième album studio en 21 ans pour les californiens de Cynic (mais ancien floridiens, à noter), on peut dire que ces mecs aiment se faire désirer. Là où cette démarche vaut vraiment le coup d’œil, c'est que ces trois albums, en plus d'être géniaux, sont très différents les uns des autres. Pas totalement hein, on sent bien qu'il ont été composés par les mêmes personnes, mais on sent aussi que ces personnes ont pas mal évolué.

Moi qui suis toujours en train de râler après les groupes qui proposent sempiternellement le même album (oui Jon je parle de toi), même ceux que presque à chaque fois on adore (celle-là est pour toi Mat), vous imaginez la réjouissance que j'ai eu à écouter ce Kindly Bent To Free Us, qui n'a presque plus rien de death metal, hormis peut-être la basse que l'on devine encore un peu agressive. Composé à trois par Paul Masvidal (guitare et chant), Sean Malone (basse) et Sean Reinert (batterie), on pouvait attendre, ou espérer, vu la formation power-trio du groupe, un hommage au mythique Red de King Crimson, qui fête ses 40 ans cette année.

Ce n'est pas vraiment le cas, car Cynic n'a pas choisi la voix aventureuse et vierge de tout balisage qu'avaient glorieusement emprunté Fripp, Wetton & Bruford, mais tout de même, son jazz-extreme-prog est assez rarement entendu. Voire carrément novateur ? Pourquoi pas. Ce qui est certain c'est que la qualité d'interprétation de ces trois monstres est ébouriffante. Leur impressionnante maîtrise rythmique est cette fois mise au service d'un gestion subtile et sobre des contre temps et autres staccatos. Car Cynic s'est fait vaporeux sur cet opus, parfois même discret et contemplatif. J'avais été très déçu en 2013 par le virage mou de Amplifier, ici il n'en est rien. Déjà parce que Masvidal, Malone et Reinert sont des putains de cadors, et surtout parce qu'ils n'ont pas confondu délicatesse et mollesse.

Et vu le niveau du trio, il semble finalement que cela soit très compliqué de faire du délicat sans être mou (dans ce domaine crossover allant du metal prog au death jazzy hein, on parle pas de country là). Surtout sur un album entier. Alors oui c'est sûr que les afficionados du débourrage étouffe-chrétien seront sans doute déçu, mais je ne doute pas qu'ils avaient déjà lâché l'affaire depuis la fin des nineties donc ne leur en voulons pas. J'ai peut-être été un peu dur, avec tous ces honnêtes métalleux que j'ai vilipendé avec invectives et tout le toutim, coupables d'avoir sombré dans une certaine apathie créative. Je me rends compte que c'est loin d'être donné à tout le monde finalement. Pour un Ghost B.C., un Hail Spirit Noir ou un Cynic, combien de groupes pastiches d'eux-mêmes ? Quoi qu'il en soit, nous en avons un ici, réjouissons-nous.

Les ambiances éthérées de ce Kindly Bent To Free Us sont mises en avant par la voix délicate de Paul Masvidal, qui reste encore un peu trop robotique ou impersonnelle à mon goût. C'est sans doute un choix, les vocalistes notables ne manquent pas dans le business. Mais je le regrette, j'aurais aimé entendre ces morceaux par un chanteur plus sûr de son timbre, plus assuré. Mais cela ne coûte guère à l'album, car cette production vocale colle parfaitement aux compos, d'un niveau exceptionnel. Parfois plus épique (Gitanjali), aux limites de l'indus-atmo (Holly Fallout, qui devrait plaire à ceux qui comme moi sont grave en manque de quoi que ce soit venant de Tool), les mélodies sont souvent grandioses (le superbe final Endlessly Bountiful). Il est difficile de ranger cet album dans un seul style, car le groupe s'est souvent plaisir à brouiller les pistes. Cynic est une musique d'initiés, de connaisseurs, et c'est sans doute le principal reproche que l'on pouvait faire à ses deux précédents opus. Ce n'est plus le cas ici, même si je ne saurais trop vous conseiller de vous mettre dans des conditions particulières pour véritablement déguster cet album. Calme, de nuit si possible, au casque, et si vous pouvez vous procurer quelque produit interdit dont je laisse à d'autres le soin de faire l'apologie, vous vous ouvrirez sans doute quelques portes supplémentaires. Il n'en sera nul besoin pour goûter le sublime pont choral du morceau d'ouverture (True Hallucination Speak), et il en sera de même tout du long.

Un grand album, par de grands messieurs, courageux et clairvoyants. Une rareté à apprécier à sa juste valeur.

0 Comments 25 février 2014
Whysy

Whysy

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