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Pour une chronique du premier véritable album solo d'Arjen Anthony Lucassen, il m'a semblé important (pour une fois, dirons mes détracteurs) de mettre de côté l'admiration immodérée que je porte à ce brave homme et de regarder les choses en face, proclamant le diagnostic qui m'apparaît tristement inéluctable : Lucassen, à force de projets, a fini par se disperser, et commence sérieusement à tourner en rond.

Et pourtant j'adore écouter cet album, et j'ai très envie de lui mettre un 9, mais il faut se l'avouer : quelque chose cloche dans le royaume batave. Perdus dans la nouvelle réalité ? Je ne sais pas où en est Arjen mais nous, en tous cas, on y est.

Dès la première écoute du premier morceau, le problème me happe. Passée la sympathique intro de Rutger Hauer, sur un beat typique du son Arjen, le premier riff et les premières paroles me mettent dans une douloureuse position.

Ah ouais sympa le début, j'aime bien, ça annonce le truc, oh punaise le refrain excellent, super les accords, ah ouais j'aime bien ces petits sons de guitare légèrement disto, oh fachte le deuxième refrain est juste génial avec les choeurs et les grands accords de folk.

De quoi je parle, là ? Arjen en solo ? Guilt Machine ? Le dernier Ayreon ? Voire même, si j'extrapole, carrément le Space One ? Un peu tous en fait, c'est triste à dire. Il est loin le temps où les trompettes à la George Martin de First Man On Earth me claquaient à la gueule, loin le temps où je me rendais compte avec stupéfaction qu'en fait j'adorais Sharon den Adel, loin le temps où le refrain de Songs Of The Ocean me foutait une pêche d'enfer pour toute une journée. Tout ce qu'il y avait de beau, intelligent, amusant et entraînant chez Arjen est toujours là, sinon je n'en parlerais même pas. Mais il manque cette créativité, cette subtilité, cette originalité qui étaient sa marque de fabrique il y a encore quelques années.

Pour autant, pas de quoi jeter le bébé avec l'eau du bain, il ne s'agit que d'une relative déception. Et puis j'avais adoré 24 Hours, Season Of Denial, Web Of Lies et Beneath The Waves. Mais j'espérais mieux de la part d'Arjen pour un album solo, quelque chose de plus intime, plus personnel, pas du protest-song évidemment mais tout de même, encore une saga de Science-Fiction ? Encore un débat sur les distorsions temporelles et autres dilatations de la réalité ? Il y avait sans doute possibilité de faire quelque chose qui se serait démarqué du reste, qui aurait marqué une différence.

Tout l'album à une exception près baigne dans une confortable volupté, tout est bien posé et bien (à) plat, rien ne bouge, rien qui vous chatouille, rien qui vous prenne au tripes. Quelques morceaux meilleurs que d'autres (The New Real, E-Police, Dr Slumber's Eternity Home, Lost In The New Real), un ratage (Pink Beatles In A Purple Zeppelin), et puis des clins d'oeil, nombreux. When I'm Hundred Sixty-Four est une parodie du célèbre When I'm Sixty-Four présent sur Sergeant Pepper's, Where Pigs Fly évoque avec humour un monde opposé au nôtre, et les références bien poilantes (Elvis was a vegan, Keith drank only juice, Donna was a virgin, Arnold never came back, ET dialed the wrong number, j'en passe et des meilleures) sont autant de petites perles. De son côté, bien qu'un peu chiante Pink Beatles In A Purple Zeppelin propose une mise en abyme plutôt saisissante, jugez plutôt :

Every song's been sung before, every note's been played

Et plus loin,

They heard it all by now, nothing left to be inspired by

Arjen parle-t-il de sa propre expérience ? La dimension autobiographique pose question, surtout lorsque l'on constate qu'effectivement, tous les tics et habitudes de production et de composition du hollandais sont présents, encore et toujours. Toujours les mêmes breaks sur fond de beat chaloupé, les mêmes intros de basse ronflante et les mêmes solos, et les mêmes choeurs, et la même utilisation d'instruments traditionnels (violon, flûte), et cetera...

Le deuxième disque contient des morceaux qui ne collaient pas à l'histoire, parmi lesquels Our Imperfect Race et You Have Entered The Reality Zone valent franchement le détour, et des reprises de classiques du hard/heavy/soft/prog/classic-rock. Et là on se dit qu'enfin, Arjen se dévoile ! Voici ce qu'il en est :

Mouais, Pink Floyd, convenu, surtout celui-là, oh Veteran il est fou c'est un classique ultime, ah le choix du Led Zep est carrément original, nom de Dieu j'adore ce morceau d'Alan Parsons et le Zappa, ben c'est Zappa quoi, faut aimer.

Résultat des courses ? Par trop de révérence, Arjen n'a pas osé dénaturer les morceaux, ni même vraiment se les approprier. Ca me fait un peu penser au Best Of de Primal Fear, quand j'entends une reprise j'ai surtout envie de réécouter les originaux. Par exemple, l'ambiance glaciale et sordide du vrai Veteran Of The Psychic Wars est devenue fraîche et ampoulée. Les petites imperfections des guitares de Jimmy et les stridences de Robert sur le Battle Of Evermore de 1971 ont disparu sous un vernis pastel. A vrai dire, seul le Zappa sort vraiment du lot, rien de surprenant. Non, vraiment, Arjen, c'est gentil de nous dire que tu les aimes ces morceaux, mais on le savait. Si au moins tu les avais massacrés on aurait pu saluer le geste, mais là, presque rien à dire. Ok, ça passe, pas mal, c'était sympa. Pour un vrai bon album de covers voyez Tori Amos, attention la reprise de Raining Blood est un peu spéciale. Voire carrément honteuse, mais justement on se dit « Ah là, elle a tenté un truc ! »

Au final, quelque chose à redire sur cet album ? Un vrai reproche, constructif, technico-tactique, de péteux mélomane ou de puriste hardcore ? Ben non, pas vraiment. Il est bien cet album, je l'ai beaucoup écouté, et puis y a des supers morceaux, And The Druids Turn To Stone par exemple, ou Day Six : Childhood. Cassandra Complex aussi, j'aime bien. Bref, vous voyez ce que je veux dire.

0 Comments 08 avril 2012
Whysy

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