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Le voici, le voilà, le tant attendu seizième album studio des dieux du heavy métal, j’ai nommé les inoxydables Judas Priest. Trois ans après un très convaincant Angel of retribution marqué par le retour de Rob Halford au sein du groupe, les cinq compères reviennent nous présenter leur heavy métal racé et reconnaissable entre tous.

Judas Priest nous propose aujourd’hui un double album conceptuel sophistiqué et érudit qui prend pour source d’inspiration la vie de Michel de Nostredame, astrologue, alchimiste et médecin français du XVIème siècle (et, vous le concéderez facilement amis lecteurs, ça en impose plus qu’une relecture métallique des élucubrations d’Elisabeth Tessier). La vie de Nostradamus et le caractère énigmatique de ses prédictions révélées dans les Centuries[s], quatrains poétiques et symboliques, sied naturellement à une telle entreprise. Ce n’est pas la première fois d’ailleurs qu’un groupe s’empare du personnage ou de ses prédictions (dans lesquelles on peut voir beaucoup de choses, leur tonalité énigmatique laisse une grande liberté à l’interprétation, la force et la faiblesse d’une prédiction étant qu’elle se valide qu’une fois arrivée) mais le Priest nous ayant accoutumés à la création de personnages fantastiques plus vrais que nature, on peut donc s’attendre à une entreprise fouillée et maîtrisée.

C’est le premier concept-album du Priest et il convient de saluer le courage et l’audace pris par les cinq hommes après 35 ans de carrière, c’est véritablement une initiative ambitieuse d’un groupe qui n’a plus rien à prouver. Il est par ailleurs tout à fait réconfortant de constater que Nostradamus fait actuellement un carton tant en Europe qu’aux Etats-Unis où le public métal est généralement jugé plus volatile et sensible aux modes. De plus de 23 titres sur deux disques pour plus d’une heure quarante minutes Nostradamus impose à l’auditeur une attention assez soutenue et de multiples écoutes pour en apprécier toutes les richesses et les imperfections. Mon jugement a ainsi été assez long à se forger tellement l’entreprise est vaste et en un sens, assez disparate.

Les maîtres mots de cette œuvre sont la grandiloquence et la majesté qui se combinent à la finesse et la puissance traditionnelle du groupe, éléments bien connus de leur musique et qui ont fait leur renommée. En effet, Nostradamus se pose en héritier fidèle de ses prédécesseurs par ses titres les plus heavy: Persécution, Nostradamus à la structure mélodique si proche de Painkiller (écoutez ce riff introductif) ou encore le divin Pestilence and Plague ont vraiment la carrure et la densité pour être de futurs classiques. La complicité des duettistes Glenn Tipton et KK Downing est toujours manifeste même si les mélodies sont plus sombres comme l’attestent les passages tourmentés de War , l'atmosphère hypnotique de Death ou le solo lumineux de Persecution.
La qualité des soli sur ces titres est bien au rendez-vous dans cette facture très classique que Judas Priest affectionne: les bonnes vieilles recettes harmoniques, deux mouvements séparés avant de conclure ensemble sont toujours maîtrisées avec brio. Cette marque de fabrique a fait l’Histoire du heavy métal et on la retrouve avec bonheur sur un Revelations entêtant et lourd (avec une prononciation détachée des syllabes super efficace et solennelle).Les mid tempi classieux sont depuis peu (Loch Ness sur Angel of Retribution je vous renvoie au magnifique Red White and Blue) mis en avant peut-être car ils sont moins exigeants vocalement. Ils sont naturellement de la partie sur Nostradamus (Prophecy et Conquest) et permettent au groupe de se poser avec élégance et une sensibilité très particulière au cœur de la vie du mage.

Cependant Nostradamus se démarque nettement de tout ce qu’a fait le Priest jusqu’ici par son visage profondément opératique. Ces deux disques foisonnent d’orchestrations ( sons de bataille et d’épées qui s’entrechoquent et violons sur War) très travaillées et d’un instrument nouveau et très présent: le clavier. Loin des sonorités de synthétiseur des années 1980 qui ont marqué au fer rouge l’iconoclaste Turbo, ceux de Nostradamus, principalement composés par Glenn Tipton prennent la forme d’une mélodie hypnotique et entraînante ( Pestilence and Plague) ou de trois petites notes inquiétantes sur l’interlude central et minimaliste de War.
Ces derniers sont, pour moi des magnifiques pépites de même que les incursions limite progressives voire floydiennes de certains titres comme Future of Mankind qui recèle de passages planants voire ésotériques pour un final quasi mystique qui épouse particulièrement bien le concept. Cette réussite se retrouve dans Exiled, pompeux et solennel mais ne peut s’étendre à Hope où les passages aériens sont plus déconcertants. Ce travail d’ambiance, la guitare acoustique confère une touche vintage psychédélique très sympathique. Je n’avais pas trouvé une telle ambiance 70 dans un album du Priest depuis Sad wings of destiny ou Sin after sin (Victim of Change, dream deceiver) ou des morceaux de bravoure comme Beyond the realm of Death sur Stained Class. Nostradamus est comme un retour aux racines vénérables du groupe mais des racines épurées de toute forme de l’agressivité que l’on pouvait ressentir sur Stained Class, ou poésie de Sad Wings of Destiny.

La prestation de Rob Halford colle à cette démarche et est en soi inédite. Le Métal God nous livre une prestation de ténor où les screams suraigus qui sont sa marque de fabrique s’éclipsent au profit d’une diction plus théâtrale (chant grinçant sur Prophecy, incantatoire sur Death, épique et lanscinant sur Conquest) cette comparaison avec un chanteur d’opéra est renforcée par l’emploi irrésistible de l’italien sur le refrain de Pestilence and Plague et du Français pour le couplet final de Future of Mankind. Il semblerait que le groupe s'apprête à faire une tournée avec un orchestre classique pour reprendre en intégralité cet album, on peut compter sur Rob pour faire vivre magistralement le personnage de Nostradamus avec intensité et profondeur.

Cependant le carton plein n’est selon moi pas réalisé et quelques expérimentations, encore une fois audacieuses et respectables, ne sont pas bienvenues dans l’écoute. J’ai déjà parlé de Hope complètement raté, mais on pourrait rajouter le voix déformée de Rob sur Persecution ou le lourdingue Death qui s’étire sans prendre véritablement son envol, plombé par son atmosphère pesante et répétitive.Cependant ce ne sont pas là les seuls bémols de cette œuvre et il est temps d’aborder les deux écueils principaux de Nostradamus.

Les interludes et autres titres transitoires constituent une part non négligeable des 23 titres et sont donc à traiter à part entière. Souvent acoustiques et parlés, ils apparaissent comme de simples liens explicatifs qui connectent les titres entre eux afin de mieux cerner les différentes phases du concept. La prépondérance de ces « pauses »(une dizaine de titres tout de même) diluent profondément l’efficacité de l’ensemble. Alors certes, il s’agit d’un album concept où la narration se doit d’être ample et précise mais la multiplication de ces coupures, même soignées rendent l’écoute plus poussive et au bout d'un certain temps, on a envie de les passer systématiquement.
Seules les introductions réussies de Pestilence and Plague, à savoir le magnifique crescendo aux claviers Sands of time, celles de Revelations, Awakenings (qui contient déjà la mélodie principale) et Calm before the Storm qui annonce et renforce la furie de Nostradamus, s’apparentent à des points forts. Les autres ne sont que des déclinaisons parfois bien trop longues de mélodies reprises dans le titre (Peace qui contient déjà des mélodies de Conquest)

Par ailleurs la seconde partie du concept est un peu terne et kitsch le début du deuxième volet est beaucoup moins pertinent et percutant que la première partie. Ce deuxième disque rassemble les compositions les plus faibles du concept et leur enchaînement a été fatal à la note globale. Et oui, comme un slow de Passe Partout et Roselyne Bachelot, le deuxième disque déséquilibre un ensemble jusque-là homogène dans sa qualité : Entre les interludes acoustiques assez plats (shadows in the Flame), des plages creuses (solitude est-il vraiment indispensable ? Le sirupeux New beginnings que même Scorpions n’ose plus) ou vides (mot que j’aurais jamais cru employer pour le Priest mais qui colle bien à Hope et ses quelques notes simplistes au piano), seuls les morceaux expérimentaux déjà cités (Exiled et Futue of Mankind) et la monstrueuse bombe Nostradamus sauve le deuxième album d’une écoute laborieuse. Alone tentant bien un micro scream salvateur, le final de visions est excellent (mais justement c’est que le final, le début est gâché par des bidouillages électro insipides) ne pouvant à peine décrocher la moyenne pour eux seuls.

Nostradamus est ainsi l’album le plus varié de la légende vivante du métal britannique. Les titres les plus réussis feront un malheur en live (Revelations, Nostradamus, Pestilence and Plague) mais le foisonnement des pauses remplissages musicalement d’autant plus secondaires que leurs seuls objectifs semblent être de relier poussivement les titres entre eux malmènent la continuité de l’écoute. Quoiqu’il en soit l’originalité de cette expérience discographique en fait un album charnière de la carrière du Priest, et ce mérite, à lui seul, réaffirme une nouvelle fois le caractère unique de ce groupe.

PS : Il convient de signaler que Nostradamus se trouve en trois éditions différentes. Une standard en boitier cristal normal, une en vinyle et une magnifique édition format livre où les illustrations de Mark Wilkinson sont à recommander avec notamment un tableau fantastique des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Un bien bel objet.

0 Comments 16 septembre 2008
Whysy

Whysy

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