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Un appel téléphonique. Dans l’attente, le son du sang qui bat dans les tempes, lourd et insistant. Une femme répond dans une langue étrangère, déclencheur d’un reflux de souvenirs. Le rythme sanguin s’emballe, des scènes s’enchaînent, sortant d’un passé lointain. Des voix inconnues peuplent l’ambiance angoissante, se rapprochent, se taisent. Et tout d’un coup, des tambours arrivent, structurent la pensée, amorcent la réflexion…  

L’arrivée d’une nouvelle offrande d’Arjen Lucassen, génie d’Ayreon et des mille et un projets, cause toujours un focus attentif et obligatoire de la part de la scène métal et progressive. Dans quelle direction le grand Hollandais blond se dirigera-t-il maintenant? L’album saura-t-il innover et confirmer le rang quasi légendaire de son créateur, ne fera-t-il que satisfaire les fans, ou s’aventurera-t-il dans une élucubration musicale expérimentale qui perdra en route une bonne fraction de la scène? Forcément, on s’est tous encore posé la question à l’annonce de la formation de Guilt Machine, nouveau groupe-rejeton de Lucassen, et publiant tout juste un an après le dernier Ayreon son premier album : On this Perfect Day.  

Si donc les autres projets s’aventuraient dans des registres souvent éclectiques et toujours relativement éloignés de l’Ayreon du moment, Guilt Machine a, du moins à la première impression, plus de ressemblances avec son grand frère. Par contre, et dès l’amorce du disque, décrite brièvement et de manière imagée par ce premier paragraphe, la musique de la machine à regrets s’avère beaucoup plus orientée vers le rock progressif que vers le métal. Si cette différence s’explique surtout par le tempo général des pièces, les parties plus lourdes ne manquent pas, contribuant à cette richesse structurelle et ambiante par une dualité très appréciée. Twisted Coil débute donc d’une manière tranquille, dosée de violoncelles et d’une batterie posée mais persistante. La voix chaude de Jasper Steverlinck contribue à introduire le concept derrière le projet ( Your sun is shining, on my ashes, on this perfect day ), appuyé par la voix en retrait mais clairement reconnaissable d’Arjen ( Shut down the guilt machine and watch your conscience clean of yesterday ). Éventuellement, les méandres des souvenirs laissent leur place à une ambiance de claviers lourde et oppressante, débouchant sur un riff lourd et insistant, introduisant la dualité du vocaliste, capable par moment de troquer sa voix tranquille pour un ton plus hargneux appuyé par une rythmique lourde, pour revenir à un timbre clair et haut. L’ambiance de la pièce se bâtit progressivement ( Did you dream of distant skies … did you die silently this time ? ), laissant parfois croire au retour d’un tempo moins tourmenté. Une pièce bâtie en montagne russe, et à l’image de ses consoeurs.  

L’album ne comprend que 6 de ces pièces, toutes différentes, mais se ressemblant dans la manière de construire des ambiances en oscillant entre des parties légères et mélancoliques, réservoirs de souvenirs aux accents douloureux, et d’autres plus lourdes, résolument plus métal mais toujours tourmentées. Le résultat s’avère donc être un album très spécial, alors qu’aucune pièce ne peut souscrire au titre d’intro, ballade ou intermède. Green and Cream peut être perçue comme la plus métal ( Pull me out of the dark, into your arms, into your arms ) et Leland Street comme la plus calme, mais chacune d'elle est une œuvre complète, pouvant être prise individuellement. Progressives sans être indigestement expérimentales, les pièces en gagnent donc des identités propres mais rapprochées, comme les membres d’une même famille, ce qui contribue à faire d’ On this Perfect Day un album d’une perfection rarement vue tout en restant très accessible pour quelqu’un qui ne recherche pas nécessairement la complexité parfois rebutante de la musique progressive.  

Au premier abord, le concept développé par Arjen s’annonce assez lourd : « la psychologie destructive de la culpabilité, du regret et la forme la plus noire du secret, les secrets que nous nous cachons à nous-même ». Dans les faits, l’alternance de passages atmosphériques à des passages plus violents et saturés permet d’aborder le sujet comme un élément de tristesse, de désespoir, tout en fournissant une énergie musicale et une profondeur intéressante. On évite ainsi de tomber dans le piège d’une musique trop sombre. L’album est aussi parsemé de courts passages envoyés par le public en différentes langues, souvent placés en début de pièce. Si on ne comprend le sens que de peu d’entre eux, leur utilisation reste originale et se dissocie de ce qui a déjà été fait par d’autres groupes.  

L’instrumentation appuyant l’ensemble de l’œuvre ressemble parfois, dans ses sonorités, à ce qu’on a pu entendre sur Ayreon. L’utilisation de duos guitares/violons à la méthode Isis and Osiris s’est vue accordée une place de choix, notamment sur Leland Street, où elle prend place dans les passages plus lourds ( Is it too late for a new day, is it too late to cross the line? ). Les claviers d’ambiances ont eux aussi un rôle indispensable, et leur sonorité rappelle parfois Universal Migrator ( début d’Over et de Perfection? ) ou encore certains passages de 01011001. Outre ces arrangements, Arjen symbolise sa place par une basse en retrait mais bien audible, et par une utilisation marquée de guitares acoustiques modérément dosées, qui accompagnent parfaitement la richesse sonore et les ambiances. Le maître chante assez souvent, chose assez rare vous en conviendrez, et supporte vocalement son nouveau protégé, qu’il nous avait présenté sur la pièce épilogue d’Ayreon. La batterie, assurée ici par Chris Maitland ( ex-Porcupine Tree ) sait être technique et utile même en restant habituellement en dehors du jeu puissant auquel le métal nous a habitués, signe qu’Arjen sait s’entourer des musiciens toujours parfaitement adaptés au contexte. Finalement, la participation de Lori Linstruth s’avère peut-être un peu limitée en raison de la faible importance des lignes de guitares électriques, mais ses interventions sont convaincantes et permettent d’affirmer qu’au niveau des solos, la dame ne prêche peut-être pas par une technique époustouflante mais par un style propre, à l’instar d’un Loureiro ou d’un Turilli. Les solos de Perfection? Et de Green and Cream son réussis sans verser dans l’incongru et rappellent le solo de Newborn Race ( 01011001 ), tandis que celui de Leland Street supporte un bref et particulier retour vers un style étrange rappelant les débuts du rock progressif.  

On this Perfect Day est donc une autre fiche parfaite au tableau de Lucassen. Un album d’une beauté mélancolique et énergique, d’une profondeur dosée et d’une accessibilité étonnante pour le néophyte. Aucune levée de boucliers ne peut résister devant les mélodies vocales d’Over ( Kill me tonight, its over, death by contradiction, frustration is all that’s left behind ) ou devant l’excitation s’amplifiant tout au long de Perfection?, supporté par cette batterie martiale. Incontestablement le meilleur projet d’Arjen à ce jour en dehors d’Ayreon, un album que tous doivent écouter, un solide prétendant à la meilleure sortie 2009…

0 Comments 25 septembre 2009
Whysy

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