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« The Ocean Collective » est d’une ambition folle. Pas moins de 26 musiciens sont crédités pour cet incroyable double concept album intitulé « Precambrian ». La formation allemande est auteur cette année de l’un des albums les plus ambitieux et les plus riches qu’il m’a été donné d’entendre. Une œuvre d’une qualité certaine, qu’il s’agisse de la musique ou de l’emballage. « Precambrian » est vendu dans un digipack luxueux aux livrets superbes qu’il s’agisse des artworks ou du rendu global. Un produit fascinant qui illustre à merveille la philosophie des membres. La musique doit devenir quelque chose de vivant. Le concept apporte quant à lui la substance qui donne à cette musique toute sa profondeur, et lui confère une ampleur inimaginable.

Comme son nom l’indique, ce luxueux double album présente une époque géologique connue sous le nom de « Précambrien ». Il s’agit du plus long temps géologique car il s’étend de la formation de la terre (il y a environ 4,560 milliards d’années) à l’émergence d’une abondante faune d’animaux dits à coquilles rigides (il y a environ 562 millions d‘années). Il faut également savoir que le « Précambrien » est divisé en trois « éons » : l’Hadéen, L’Archéen et le Protérozoïque. Ces deux premières ères ne sont qu’éruptions volcaniques, pluies acides, atmosphère de souffre et de dioxyde de carbone d’où une température très élevée. Un environnement d’une grande violence, instable, brutal et néfaste à toute forme de vie. Le Protérozoïque quant à lui voit l’arrivée des premiers êtres vivants, l’atmosphère devient plus propice à l’évolution de la vie et l’environnement se montre moins invivable et brutal.

« The Ocean » tente de suivre la même progression dans ses chansons. Ainsi le 1e EP d’une durée de 22 minutes s’intitulant « Hadean / Archean » est un recueil de chansons brutes très agressives, aux rythmiques instables et à l’agressivité exacerbée. Tandis que le second album intitulé « Proterozoic » (61 minutes) marque une évolution musicale vers un univers plus calme, aux nombreuses interludes musicales de qualité entrecoupées de passages « métal ou hardcore » bestiaux : des réminiscences du passé. De même, ces différents temps géologiques possèdent des noms spéciaux dont la logique de succession a été sauvegardée par le groupe. Ainsi chaque chanson porte le nom d’une de ces périodes et tente d’en illustrer l’atmosphère par sa musique.

EP - Hadean / Archean (22 minutes) - 7/10

Ces cinq premières chansons racontent donc les premières ères après la formation de la Terre. L’ambiance y est très agressive et marquée par sa grande violence. Les instruments utilisés sont uniquement les guitares, la basse, la batterie et les vocaux écorchés. Cette première approche du concept propose les chansons les plus violentes et barrées du double album, chansons qui illustrent à merveille cette extrême instabilité et cette ambiance suffocante par une sensation de chaos musical : des rythmiques plombées, des riffs puissants, un concert de voix criées et une technique musicale que ne renierait pas un Meshuggah. L’aspect polyrythmique des compositions ne laisse que peu de point de repère à l’auditeur qui se retrouve confronté à ses peurs intimes. Il contemple cet édifice musical et ressent par la puissance des compositions et les rares mélodies un sentiment très fort. Il suffit de fermer les yeux pour entrevoir ces torrents de lave, cette terre en fusion, ces volcans en éruption, cette atmosphère suffocante. « The Ocean » évite toutefois la cacophonie par un mixage et une production dantesque, qui aide à la crédibilité de l’ambiance oppressante des pistes. La musique pratiquée ici est indescriptible tant les influences extrêmes (death et hardcore principalement) sont parfaitement digérées. J’ai déjà cru lire les terme « Brutal Post Hardcore Tentaculaire » et je plussoie. Ce premier disque gagne d’ailleurs tout son intérêt lorsqu’il est apposé à l’album à proprement parler « Proterozoic » qui lui va développer une ambiance plus calme, aérée et surprenante.

Full Length - Proterozoic (61 minutes) - 9/10

Cette seconde partie du concept présente une nouvelle face de « The Ocean ». L’atmosphère y est moins hostile et le groupe développe ses influences « post – rock » en plus de son métal vénéneux. En plus des instruments classiques, les compositions sont enrichies de nombreux violons et pianos afin de créer une ambiance vraiment différente. Ici les chansons sont très développées, travaillées et possèdent par certains aspects un côté progressif. Ainsi l’introduction « Siderian » donne le ton par ses jolies notes acoustiques, une mélodie reprise par l’excellente « Rhyacian ». Le terme « progressif » prend tout son sens avec de telles chansons. En effet, « Ryacian » démarre sur un chant clair et une progression basse/batterie très agréable pour subir de nombreuses alternances entre une ambiance calme et feutrée et un véritable déluge brutale et agressif, le tout soutenu par de nombreux et riches violons. « The Ocean » explore sa musique avec un grand talent et tout au long du disque on contemple avec surprise la grande richesse des chansons.

Il m’est difficile d’en parler avec de simples mots. Nous sommes face à une œuvre musicale vraiment exceptionnelle qu’il s’agisse de la musique, du concept, des ambiances… Les parties purement instrumentales sont d’une grande qualité, les violons apposés à ces guitares, les soli, le feeling de l’ensemble, le dynamisme des chansons : tous les éléments de ce disque jouissent d’un tel travail qu’il est difficile d’y trouver des défauts. Certes le disque, par son aspect très dense et violent, pourra rebuter de nombreuses personnes mais comme d’autres artistes « The Ocean » ne cherche pas à plaire, il cherche tout simplement à extérioriser ses émotions, et partager sa propre conception de la musique. Il n’est pas rare qu’ils parviennent à nous toucher dans leurs instrumentaux : « Calymnian », « Ectasian » ou « Stenian » - à l’introduction presque jazzy - sont de véritables pièces de génie : les contrastes entre l’acoustique, les violons, les pianos, la douceur et la richesse des lignes de basse, l’extrême agressivité de la partie « métal » apportent au disque un dynamisme dingue et permettent d’aérer l’écoute de ces œuvres. Toutes les chansons sont d’une richesse et d’une classe envoûtante : « Orosirian » se permet le luxe d’une introduction extrême pour enchaîner sur un break post-rock sur fond de violons aidés d’un clavier surprenant et d’une courte contribution de voix lyriques pour terminer sur un métal lourd et agressif entre mid-tempos dévastateurs et double pédales/blast beats.

Toutes les chansons possèdent un bagage sentimental et émotionnel fort par ses accords de guitares acoustiques, ses pianos, ses violons. Les premières minutes de l’instrumental « Statherian » sont vraiment magnifiques, la montée en puissance finale impressionne. Il est déstabilisant de se rendre compte à quel point « The Ocean » maîtrise sa musique et organise ses assauts brutaux puis orchestraux d’une main de maître. Même les paroles ont eu droit à un traitement spécial car le groupe se permet d’emprunter des textes de Nietzsche, du comte de Lautréamont, de Charles Baudelaire, voire même du poète autrichien George Trakl. « The Ocean Collective » a également fait appel à pas moins de 11 vocalistes connus et reconnus de la scène extrême/hardcore provenant d’horizons aussi divers que Breach (Thomas Hallbom), Converge (Nate Newton), Integrity (Dwid Hellion), Cave-In (Caleb Scofield), Textures (Eric Kalsbeek)…

Au final le contraste musical intense et marqué entre les différentes chansons rend bien compte du concept. Avec une première partie instable et brutale, la seconde partie du disque s’attarde sur l’évolution de la Terre vers un état qui pourra, plus tard, accueillir la vie. L’ambiance se calme au fur et à mesure que le temps s’écoule. Evidemment, comme tout ne s’est pas fait en un jour, on assiste souvent à de nouvelles perturbations et un retour vers la violence. « Precambrian » nous invite à un véritable voyage vers le passé, un saut vers nos origines pour essayer de comprendre, de ressentir, peut-être de vivre l’hostilité et la violence de la naissance d’une Terre qui aujourd’hui nous gâte.

« Precambrian » brille autant par sa musique parfois élitiste que par son concept à la fois intelligent et éducatif. Avec des chansons comme « Rhyacian » , « Calymnian » ou « Stenian » qui explosent par leur richesse et leur univers parfois au-delà du métal, je ne peux qu’applaudir « The Ocean » à deux mains. Je ne me remettrai jamais des alternances métal extrême, passages « post-rock », violons, basses… Vraiment fou. Je ne sais comment conclure cette chronique. Ce double album est un produit d’une telle qualité et qui demande un tel engagement personnel qu’il mérite une attention toute particulière. Je vous mets en garde, cet album n’est pas à mettre entre toutes les mains, tant il est difficile d’accès. Je souhaite une bonne chance à tous ceux qui vont tenter l’aventure, amusez-vous bien. Je finirais en laissant le soin au groupe lui-même de conclure cette chronique :

« This album is our stance against myspace-induced volatileness and transience, against the postmodern notion of music as unseizable data, against a perception of music in terms of how much space it takes on your hard-drive... it is an album for people who still believe in the idea that an album can be much more, and should be much more, than the sum of its track. »

...TeRyX...

0 Comments 12 janvier 2008
Whysy

Whysy

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