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Il est beau, ce Sounds That Can’t Be Made, il est propre et carré, c’est du Marillion moderne, posé et émotionnel, et ça me fait bien chier. L’une des raisons qui provoquent chez moi cette réaction est que j’éprouve pour Steve Hogarth deux sentiments étrangement opposés : sur Season’s End, Holidays In Eden, Brave et Afraid Of Sunlight c’est mon héros absolu, j’en viens presque à ne plus regretter Fish, qui pourtant me manque, Misplaced Childhood et Clutching At Straws étant des putains de sommets, mais je crois que c’est surtout la musique du groupe qui a évolué, peut-être sous l’influence de H, mais alors sur Radiation, This Strange Engine, Marbles, Somewhere Else, Happiness Is The Road et Sounds, il me les brise menu, avec sa geignardise et ses chuchotements, sa fragilité, son côté bancal, « je sais pas chanter alors j’exhale des notes dans un gémissement », et surtout la platitude de nombre de ses compositions récentes.  Ca va beaucoup mieux, merci. Nan mais comprenez-moi, essayez au moins, bien sûr j’adhère à son côté charisma-christique, bien sûr il a écrit de superbes chansons, même s’il est toujours très difficile avec Marillion de savoir qui écrit quoi exactement, mais cette affection dont il souffre semble l’empêcher de poser une mélodie correcte sur les constructions admirables tissées par ses camarades. Hogarth ne chante pas, il fredonne de sa voix chevrotante, ou alors il crie, mais rarement une vraie mélodie, bien construite et indépendante. Réécoutez Easter, ça c’est une mélodie.  Sounds That Can’t Be Made, donc. J’ai réglé son compte à Hogarth, je vais maintenant m’occuper de Rothery. Dans les années 80, cet homme, auquel je voue également une intense admiration, pratiquait un son clair de guitare électrique, très aisément reconnaissable, et qui enchantait littéralement mes oreilles. Ecoutez Warm Wet Circles, Dry Land, Out Of This World, Runaway, Seasons End, et même Estonia, sur le très mauvais This Strange Engine, vous entendrez ce son si spécial, surnageant au faîte d’une montagne de réverb, imprimant aux morceaux une douce langueur mélancolique qui rendait ce groupe si spécial. Et puis, à partir de Radiation, en 1998, fini, plus de ce son particulier, on entend souvent de ces guitares électriques en clair mais le son a changé. A la limite, le somptueux Oceans Cloud, sur Marbles, et encore. Vous me direz qu’on est plus dans les années 80 et vous aurez bien raison, et vous ajouterez qu’en cherchant à retrouver ce son à chaque nouvel album je ne serai que déçu et que je dois laisser le passé derrière moi, bref, encore une fois vous aurez raison, mais c’est bien simple, je n’y arrive pas. Je suis toujours un peu déçu, même quand l’album est excellent, de ne pas y retrouver cette dimension sentimentale profondément déprimante, ce sens du spleen unique, cette qualité qui faisait partie intégrante de leur identité.  Heureusement, après un Somewhere Else bien raté, Happiness Is The Road (du moins le premier album, Essence), nous avait réconciliés avec une autre qualité du son Marillion, désertée depuis King, entre-aperçue dans Interior Lulu et Oceans Cloud : l’envolée héroïque. Là encore, c’est souvent la marque Rothery, Brave et Afraid Of Sunlight en sont bardées, et, enfin, la partie finale du morceau-titre, Sounds That Can’t Be Made, nous offre son meilleur solo depuis 17 ans. Pour en arriver là il aura tout de même fallu se coltiner les 17 minutes de Gaza. J’ai lu chez nos amis de Rock Hard des mots mesurés et circonspects à l’évocation de ce morceau, et je peux comprendre leur position difficile : après tout, ce sont des journalistes. N’ayant à répondre de mes propos à aucun publicitaire, je peux me permettre de le dire franchement : Gaza est un gros foirage. Mal construit, manquant de cohérence et de mélodies, on s’ennuie assez sérieusement. Le riff de milieu de morceau est, il est vrai, bien lourd et agressif, ce qui est inhabituel chez Marillion, mais ça ne sauve guère cette courageuse tentative d’évoquer le conflit israélo-palestinien du point de vue larmoyant.  Si j’écarte ce sérieux loupé, Sounds That Can’t Be Made est un très bon album, du niveau de Marbles ou Marillion.com, et mérite donc un bon 8. Il me semble difficile de lui donner plus, tant le manque de génie créatif se fait ressentir douloureusement, mais les artisans britanniques sont tellement doués qu’on s’en rend à peine compte. Ce génie créatif ne reste jamais très longtemps au même endroit, malgré son don d’ubiquité. A la manière d’un Pink Floyd avec A Momentary Lapse Of Reason et The Division Bell, mais dans une moindre mesure évidemment (faut pas déconner), le savoir-faire de Marillion est tel qu’ils peuvent se permettre de faire des albums excellents sans être géniaux. Faut-il encore en attendre d’un tel groupe, après 30 années de carrière ? Je pense sincèrement que non, les fans dont je suis sont déjà incroyablement chanceux que leur groupe puisse proposer, 15 ans après son apogée, des albums d’aussi bonne qualité (juste, Steve, recommence à chanter, et Steve, retrouve-moi ce putain de son).  Vous trouverez un peu de tout sur ce Sounds, et surtout pas de syndrome Steve Harris (autrement nommé syndrome Jon Schaeffer). Les morceaux sont variés, intelligents, et chacun contient son petit plus, son moment particulier, sa montée en puissance, la Marillion touch depuis 1983. Des mid-tempos balancés et énergiques (Lucky Man, Sounds), de beaux moments teintés de romantisme et de mélancolie (Pour My Love, le sublime The Sky Above The Rain), une grande pièce épique bien mieux agencée que Gaza, nommée Montreal. Epique n’est pas vraiment l’épithète adéquat mais bon, c’est grand, c’est beau, c’est long, y a des moments de bravoure et d’intensité dramatique, ça ne raconte pas d’histoire mais on va dire que c’est épique.  Voici donc un superbe album, très réussi (hormis Gaza), dont les deux grands moments sont Sounds That Can’t Be Made et The Sky Above The Rain, qui n’arrive à faire oublier ni Fish, ni Brave et Afraid Of Sunlight, ni tout ce qui m’énerve chez les Steve, mais à vrai dire il est beaucoup trop tard pour ça. En réécoutant Radiation et This Strange Engine je me dis qu’on a eu beaucoup de chance tout de même, vu ce que Marillion aurait pu devenir. Ils auraient pu suivre la voie emprunté par Marillion.com, ce qui aurait été assez génial mais très différent, cet album étant sans doute beaucoup trop pop pour les puristes (et pourtant, quel groove de folie sur Deserve !).  Au final, ils auront tracé leur route à leur façon, pratiquant une musique complètement datée et réservée aux fans, et espérons que cela dure encore longtemps.

0 Comments 17 octobre 2012
Whysy

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