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Avant tout, je vais revenir- un peu- sur un album; OCEAN MACHINE, avant d’entamer ce voyage sur TERRIA.
Pourquoi? Parce que... OCEAN, TERRIA, sources de vie, partie immergée, partie émergée d’une planète mise à mal par la stupidité de l’homme. L’élément liquide, l’élément solide, sources d’inspiration pour l’artiste canadien, mais tous autant corrompus par une humanité déployant une énergie invraisemblable à bâtir l’immense cercueil des nécessités à devoir vivre pourtant en communion avec Elle. Elle, à qui un shaman mongol demande toujours pardon avant d’y creuser le moindre trou.
J’ai dit que je ferai court avec l’album OCEANique, je n’exprimerai donc que mon ressenti.
Et de nombreuses écoutes n’y changeront rien. Pour moi, OCEAN MACHINE reste et restera un mur de son massif que trop peu de choses parviennent à traverser; ici une envolée vocale, ailleurs la ligne mélodique d’une guitare ou d’un synthé, tant et si bien, qu’au fil des morceaux, je m’installe un peu plus dans un climat oppressant, pour ne pas dire carcéral, scotché par 3000 mètres de fond sous plusieurs milliards de mètres cubes de flotte.
J’aimerais pouvoir transpercer la surface de l’eau, avec dauphins et poissons volants, traverser le nuage de vapeur de l’évent d’une baleine ou l‘écume des vagues. Même le capitaine Nemo, névropathe notoire confondant l’océan avec la matrice originelle de la mère, parvenait à s’extirper de son Nautilus. Et donc, rien à faire… Ma remontée trop rapide à la surface de cet OCEAN MACHINE me vaudra même un séjour en caisson hyperbar.

TERRIA maintenant…
Pour moi, le voyage a commencé à partir… de la pochette. Une des rares fois dans ma carrière de mange-disques où je vais attendre de la musique ce que l’artwork pouvait précisément me laisser espérer. La promesse d’un monde magnifique se dévoilant tandis que se dissipe le voile virginal de la brume.
Et ça commence plutôt bizarre.
Avec OLIVES. L’apéritif…Patchwork curieux de sons divers… que je pourrais capter à bord de ma capsule spatiale si je m’appelais ITI et me rapprochais de la Terre. Chants d’oiseaux, voix déformées, bribes de musiques, chuchotements, extraits d’émissions radio. Emergeant de cette « bouillie » sonore, une ligne de basse répétitive fixe l’attention… finalement étouffée par un riff doomesque éreintant et saturé de synthés anxiogènes.
A ce stade du voyage, je suis un peu comme le type de la pochette. Dans l’expectative. J’attends, mon martini à la main, mais quoi ?
MOUNTAIN. La montagne… elle se dresse immédiatement devant moi. C’est la muraille des synthés impitoyablement martelés par les fûts qui en évoque son aridité, la roche nue, la glace…
Rugissements rauques et caverneux de la bête, un chant clair, mélopée triste et lancinante , presque désincarnée. Un milieu hostile pour une vie qui peine à s’imposer.
Ce froid abyssal, cette rugosité « brut de béton », est-ce que c’est nous, ça, spectateurs passifs autant qu’acteurs insensibles de l’agonie d’une planète que nous ne méritons plus?
A mi-parcours, la basse ronronne un leitmotiv plus enjoué, la batterie plus entraînante induit légèreté et sérénité. Les claviers virevoltent comme des papillons découvrant et butinant de nouvelles notes sur la partition. Un chant quasi tribal retentit comme un éveil à la vie.
Puis quelque chose se casse, le cri primal de la bête, encore une fois. Un chien hurle à la mort…
Mélopée mécanique secondée par le chant hurlé. La colère de Devin pour un échec consommé de l’humanité?
Rémission, apaisement en fin de morceau…Aura-t-on droit à une seconde chance?
EARTH DAY, et son introduction majestueuse. Voilà, j’y suis! La brume se déchire, j’invente le paysage de mon choix. Devin me tend sa palette. J’y puise pour imaginer là une mare, ailleurs la lisière d’une forêt et la vie qui y grouille…
Le chant est angélique dans des chœurs sublimes, se durcit dans des couplets qui se flattent de rester harmonieux, les futs impriment des pulsations organiques qui vous caressent ou vous frappent au ventre. le génie de Devin est bien là, dans ces 9mns 35 quand il multiplie à l’envie ses prestations vocales, soufflant le chaud et le froid. Ses claviers, aux arrangements inventifs et somptueux vous émerveillent ici, vous saisissent là. Confusion des sens. C’est tout un processus de création qui se déchaîne, brouille ma vision paradisiaque, rappelant que la Terre, la Nature peuvent être colère puis douceur, douceur puis colère, changeantes le temps d’un battement de cils.
Mais la beauté naît aussi de la violence. La démonstration en est faite, éclatante, dans EARTH DAY.
DEEP PEACE. Quiétude. Spiritualité. Guitare acoustique et chant floydien prétextes à la méditation , préludes à un solo de guitare que je vois bien composé dans une lamaserie posée sur le toit du monde, rêvé par un Devin tout à coup fan de Chopin quand le rythme s’accorde sur celui d’une valse. Les notes, gracieuses, restent comme suspendues, figeant un instant d’éternité. Juste un solo, mais simplement divin. Parce que la vie est trop fragile, et que la quête du spirituel est nécessaire, pour ne pas défaire stupidement ce qui a été fait.
Ah ah, j’en fais peut-être trop là… N’est-il pas écrit parmi les premières lignes de texte de cet album:
« The message is: THERE IS NO MESSAGE »
CANADA. Comment, sur un album hommage à notre Terre, Devin aurait-il pu faire l’impasse sur son pays natal? De grands espaces sauvages, où la main de l’homme n’a que rarement mis les pieds(sic), ne pouvaient bien sûr manquer d’inspirer le cher homme.
D’entrée, l’utilisation orchestrale des synthés me place au cœur d’une futaie plantée dans les mousses et lichens, camaïeu de verts sombres zébré par des rais de lumière floutés par un reste de brume…
J’en fais encore trop, là.
« The message is: THERE IS NO MESSAGE »
Ca me trotte dans la tête, je dois dire, et c’est tout à coup que je décide d’arrêter de disséquer cet album.
Continuer vaudrait au dictionnaire des synonymes de s’épuiser à vouloir me fournir des synonymes pour les verbes « surprendre, bousculer, enchanter » ou les adjectifs « puissant, imposant, vivant » -liste non exhaustive-, à moins que, pour être tout à fait sincère, ce ne soit les adjectifs « complexe, riche » qui me pousse à abandonner la table de dissection.
Je ne sais pas à quoi pensait Devin en composant par exemple THE FLUKE. De joyeuses sonorités rock’n roll font mine de s’inviter, puis le chant se radicalise, la batterie assène ses coups dans un mur de claviers inquiétants qui feulent. Et c’est-ce climat oppressant qui disparaît à son tour, effacé par une assemblée de chœurs aériens qui s’additionnent et se superposent avant que la mélodie ne se fasse hymne, pour finalement laisser la place aux synthés qui ferment la marche, decrescendo.

Si l’on ne peut parler de musique progressive, celle de Devin n’a pourtant rien à lui envier, en termes de richesse et de complexité ( je n’ai pas cherché de synonymes). Foisonnante comme peut l’être la vie sur cette Terre, elle est l’expression d’un créateur boulimique, avide de mettre en notes une sérénité retrouvée ( si je ne me trompe pas, après une période de sa vie plutôt tourmentée) en même temps qu’il ne cachera rien de ses angoisses et colères, utilisant alors ses partitions comme un exutoire.
Cette complexité, cet aspect « multi-strates », il m’a fallu un temps, je l’avoue, avant d’en venir à bout, déverrouillant patiemment et finalement certaines serrures qui me donnent alors accès à une plénitude tout à coup authentique, absolue. Les longueurs que j’avais ressenties lors de mes premières écoutes ne sont plus. Pour moi, ce TERRIA se présente comme la bande originale d’un film dédié à la beauté de la partie immergée de notre planète. Une beauté aux multiples visages, l’un pour la cruauté, un autre pour la mélancolie, encore un autre pour la joie…ou la colère.
Voilà ce que j’ai imaginé sur THE FLUKE. D’abord des lionceaux jouant sous l’œil bienveillant de la mère. Puis la chasse, le lion tuant l’antilope. Le festin, ensuite. La mort consacrant la vie. Et enfin le repos, la béatitude dans la digestion… Bon, ça peut paraître cucul, mais j’ai toujours été fan de documentaires animaliers, hein…
Et puis à vous d’imaginer ce que vous voudrez sur NOBODY’S HERE, ballade si belle au refrain déchirant qui nous livre un Devin intime au plus prés de son âme. Sur le thème de la solitude, sa guitare nous illumine encore d’un solo ensorcelant.
Imaginez ce que vous voudrez sur TINY TEARS et son ouverture aux célestes claviers. Devin y déroule tranquillement de belles et calmes mélodies, à peine troublées par les émois dérangeants de quelques synthés. PAIX est le mot d’ordre.
STAGNANT, pour finir, fait office de dessert sucré. Ses accents pop, et son refrain joyeusement puissant permettent à TERRIA de finir sur une note plus légère, certainement censé suggérer un Devin apaisé et tout sourire. C’est mon cas. Un plaisir à peine entaché par mes tentatives déplorables de reprendre en chœur le refrain pour le moins enthousiasmant et non moins obsédant.
Fin du voyage.

Jamais, je trouve, Devin TOWNSEND n’a été aussi impressionnant dans son travail vocal ainsi que devant ses synthés. Quant à la guitare… Dieu est passé par là. Et n’oublions pas la frappe de Gene HOGLAN, le muscle cardiaque d’une œuvre immense dédiée à la Terre. Si, comme sur OCEAN MACHINE, ce mur de son propre à Devin, bâti avec sa voix, ses claviers et une batterie omniprésente s’impose dés OLIVES, ici, sur TERRIA ce mur vibre, scintille, fourmille de vie. Il se disloque, se désintègre et se recompose, à l’image du chaudron bouillant de la Vie.

Indispensable.



Note réelle: 9,5/10

0 Comments 01 avril 2011
Whysy

Whysy

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