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Le 10 novembre 2014, après une annonce quelque peu chaotique suivie par une campagne de promotion rapidement maîtrisée, Pink Floyd a publié son dernier album, The Endless River. Constitué d'ambiances sonores et de petits morceaux réalisés originellement juste après les sessions d'enregistrement de The Division Bell (2014), cet opus est annoncé par les deux membres du groupe comme un hommage à Richard Wright, claviériste décédé en 2008.

Tout cela, entendons-nous bien, sent fort le piège à con, du moins en apparence. Des chutes de studio, abandonnées voilà 20 ans ? Des bouts de chansons à peine travaillées par Rick Wright ? Une armada de producteurs, comme pour cacher un manque de créativité ? Et l'impression tenace que la machine à fric avait épuisé toutes ses options, du coffret immersion à l'énième Best Of en date ? On le sait aujourd'hui, David Gilmour (guitares et chant) et Nick Mason (batterie) ont longuement hésité à se lancer dans ce projet, conscients sans doute de la liste que je viens d'énumérer.

Alors la question qui hante le fan, l'amateur, le futur acheteur, auditeur, critique de cet Endless River, est simple : pourquoi ? Pourquoi vouloir prolonger l'aventure de cette entité moribonde, comme on refuserait de débrancher un comateux ? Pourquoi prendre le risque de gâcher le point final que représentait High Hopes, pas le meilleur sans doute, mais tout de même à un niveau de qualité difficilement imaginable aujourd'hui ? Un peu plus de fric ? Difficile à croire, les deux compères ayant probablement assuré le futur de leurs générations pour de nombreuses décennies à venir, car les albums de Pink Floyd se vendent encore, et se vendront tant qu'il existera des structures pour le faire. La peur de l'oubli ? Ce serait mal connaître Gilmour et Mason, qui vivent leur retraite paisible depuis des lustres, Gilmour prenant encore la peine d'écrire quelques chansons de temps à autres, donnant quelques concerts, et Mason s'occupant de sa collection de voitures, non, ces deux lascars ne sont guère en mal de renommée.

A cette interrogation ils proposent une réponse, dans un long entretien visible sur les différents réseaux sociaux : ils voulaient faire un album de Pink Floyd du 21ème siècle, et rendre hommage à leur ami disparu. Chacun se fera son opinion sur les intentions, elles ne valent de toutes façons que dans le contexte de l'album : s'il est génial, ça valait le coup, s'ils est mauvais, c'est que ce n'était pas une bonne idée.

Ce sera plus compliqué que cela : ni vraiment bon, ni vraiment mauvais, The Endless River laisse un sentiment mitigé de contentement et d'amertume. Totalement instrumental (hormis le single Louder Than Words), il est construit en quatre parties, pour une durée totale de 52 minutes. Sentant le coup venir, Gilmour a prévenu les auditeurs : c'est un voyage sonore, plus proche d'une collection d'ambiances que d'un recueil de morceaux. Et dans cette collection il y a de tout : allant parfois jusqu'à nous rappeler de grands moments (Allons-y, On Noodle Street, Talkin' Hawkin'), il est souvent banal, et parfois on frise même la correctionnelle (le super kitsch Anisina). Mais fidèle à lui-même, le groupe est bon quand Gilmour est en retenue, et mauvais quand les chœurs féminins sont trop présents. En somme, rien n'a changé depuis Dark Side Of The Moon.

Je plaisante, bien sûr, on est très loin des canons de l'époque, car si l'album contient de nombreux moments agréables voir carrément excellents, et si effectivement, au casque, sous l'influence de psychotropes, il vaut vraiment le coup, il y manque des chansons. Alors oui, qu'un fan de Yes vienne se plaindre qu'un album de Pink Floyd manque de chansons frise le foutage de gueule, j'en conviens, et c'est pourquoi je vous conseille de l'écouter, pour vous faire votre opinion. Les die-hards de Gilmour, nombreux, seront ravis, les die-hards de Wright, plus rares, le seront également tout en regrettant que le maître n'ait pas été présent en studio. Car quand j'entends Anisina je peux vous garantir que le grand Richard n'aurait jamais laissé passer un truc pareil, et aurait immédiatement ordonné Gilmour de retravailler sa copie.

Wright est presque partout sur The Endless River, et c'est un pur régal, même si le passage d'époque (Autumn '68) n'a aucun intérêt. Mais les ambiances d'Unsung ou It's What We Do ne nous font que regretter sa disparition plus amèrement, et permettront peut-être à ceux qui l'ignoraient de découvrir, subrepticement, quel génie il était. Car son génie affleure dans ces pièces délicates, et c'est déjà beaucoup. Suffisamment pour faire de ce (probable) dernier opus un grand Pink Floyd ? Malheureusement non. Car la dream team de producteurs à l'oeuvre, composée de Gilmour, Phil Manzanera (guitariste de Roxy Music), Andy Jackson (architecte des derniers remasters du groupe) et Youth (ponte du son britannique des deux dernières décennies), a truffé l'album de références à The Division Bell, en accentuant la proximité sonore déjà existante du fait de la concomitance des sessions d'enregistrement et transformant parfois The Endless River en gigantesque clin d’œil. Pour faire simple, The Endless River plaira majoritairement aux fans de The Division Bell, et beaucoup moins aux autres.

Il est regrettable que l’événement musical de l'année ne se soit pas transformé en œuvre majeure comme pouvaient l'être les anciens albums du groupe. Mais au moins, nous avons échappé à la pantalonnade, et c'est déjà presque un miracle.

0 Comments 25 novembre 2014
Whysy

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