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La caverne est immense. Une odeur ténue mais parfaitement identifiable de « brachioles » confirme si besoin était la nationalité de ses occupants. En découvrant cette monumentale nef de pierre grise et brute, les surprises sont multiples. Tout d’abord, aucun poster de Luis Royo pour réduire ne serait-ce qu’à minima l’austérité glaciale des lieux. Ensuite, aucune représentation sous quelque forme que ce soit d’un dragon, même gentil, les crocs élimés ou dépourvu de la fonction « flashburn ». Aucun flacon non plus d’un élixir à base de miel prompt à adoucir un organe vocal trop sollicité dans les octaves aigues. Et enfin, la plus incroyable: où que mon regard puisse porter, aucune, non, aucune trace du moindre clavier Bontempi.
Je suis bien en Italie, mais vraisemblablement jeté à mon insu dans une sorte de quatrième dimension ou d’univers parallèle, déjà éprouvant, alors que je n’y suis que depuis peu.
La caverne est immense, mais pas complètement vide. Un gigantesque monolithe taillé dans une roche d’un noir presque pur se dresse au beau milieu, improbable stèle funéraire d’un géant qui serait enterré ici. Et j’y crois presque. Oui, ici pourrait être un tombeau…c’est assez froid et triste pour ça.
Sur le monolithe, je remarque tout d’abord qu’un mot a été gravé, en immenses lettres majuscules: CIVILISATION. Et dans ce gigantesque caveau, cela résonne comme une épitaphe…
Dessous, le ciseau de l’artisan graveur a commencé à y écrire une phrase, laissée inachevée:
L’homme civilisé est-il co…
Phrase volontairement sibylline?
Moi, j’aurais bien une idée. Partagée, j’en suis sûr, par un grand nombre de tribus dites  primitives, en Papouasie,  en Asie ou Amérique du  Sud, qui font bien peu de cas des aspirations incompréhensibles à leurs yeux de ces fourmis humaines civilisées. Tribus qui, malgré leur absence totale de méchanceté - mais volontiers nanties d’un humour acéré -pourraient la compléter ainsi:
L’homme civilisé est-il con?
Ou par une vigoureuse extrapolation: la civilisation rend elle l’homme con? Par civilisation, je comprends tout système hiérarchisé par l’importance de la possession matérielle et non basé sur le respect d’autrui par exemple, parce que là, le terme utopie serait plus adapté.
Mieux encore: Faut-il être con pour vouloir d’une civilisation?
Les civilisations ont été multiples sur cette planète. L’Histoire nous le rappelle: point commun, elles ont toutes disparu. Toutes? Non, il en reste aujourd’hui une, étendue comme un poulpe malveillant sur toute la planète, mélange hétéroclite de tellement de cultures phagocytées et mal digérées  mais liées par la même addiction pour le CocaCola, le pognon, la télé débile, la science-gadget, le dieu aveugle et -ou- sanglant, la Kalashnikov, (ingrédients quantitativement variables selon  l’endroit où l’on se trouve, bien sûr.)
Face aux ratages successifs des sommets Kyoto and Co pourtant vitaux, posons-nous la question: Et si toute forme de civilisation portait en elle un germe fatal que l’homme n’aurait de cesse de nourrir…Ce qui ferait de l’homme la seule espèce animale capable d’un système communautaire organisé qui n’aurait comme finalité que sa propre destruction. Si ça, c’est pas super con…
Bon…

LA (VRAIE) CHRONIQUE COMMENCE ICI   LA(VRAIE)CHRONIQUE COMMENCE ICI   LA

Pourquoi une si longe intro?
Par ce que si vous affichiez l’insouciance joyeuse et tintinnabulante du jeune farfadet baguenaudant dans ses vertes et aimables prairies, une remise à niveau était absolument nécessaire.
Appuyer sur la touche play, c’est d’abord accepter un concept « Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ».
Vous en doutez? Voici un extrait:
« Centuries of blood bow your head and weep
What seeds have been sown in  génocides heart
Soot and grime weigh down lives
Lived in fear Under an empty sky
Bundles with out the lie of a god… »
Le reste des textes est à l’avenant, un constat sans illusions d’une humanité gangrénée par ses tares et qui veut oublier d’où elle venait, le fond d’une caverne, et ce qu’elle y était, un animal sauvage. Ce qu’elle est toujours, plus dangereuse encore, puisque hypocritement parée des reliques trompeuses de la civilisation.
L’instrumental introductif  PRELUDE TO THE DEATH OF HOPE met en place la scène tragique.
Une nappe de synthés accueille en son sein glacé un chœur monacal et quelques fragiles notes de piano…
La guitare place ses premières notes lancinantes d’outre-tombe…
Tout est en place pour accueillir la première offrande, somptueusement désespérée: THE GRAVE OF CIVILIZATION.
Précédés par le chant plaintif du synthé, les  riffs inquiétants de la guitare se déversent comme le Styx, emportant irrémédiablement toute espérance en un monde meilleur qui pourrait encore vous encombrer.
Claviers d’un froid abyssal, chant des âmes perdues…
Martelant le tempo lent, la batterie finit de bâtir un mur de son, écrin oppressant et idéal offert au chant clair à la limite du liturgique, sobre, sans grandiloquence, mais suffisamment organique pour véhiculer le désespoir, une colère froide…
Mais VOID OF SILENCE va donner à son doom une allure progressive, en fractionnant ce mur et en y insérant des plages plus atmosphériques,  hantées par des claviers plus éthérés mais plus mélodiques aussi, ou plus angoissants quand ils miment les vents méphitiques soufflant dans les basses fosses des Enfers. Hantées aussi par des accords de guitare électro-acoustique, du piano et des chœurs aux accents souvent religieux, sacralisant même le plus noir des desseins. Et quand  la guitare ose un solo dont les notes s’élèvent hautes et claires sur ce fond d’amertume, cela pourrait presque passer pour le ténu rayon de soleil transperçant gracieusement un ciel lourdement plombé. Vous aurez noté le « presque » car le chant de Brooke JOHNSON (AXIS OF PERDITION et une liste d’autres groupes dits joyeux longue comme le bras) nous rattrape vite, tissant inexorablement autour de nous un suaire de désolation.

Si je dis que la musique que délivre cette souffrance est belle, ce n’est pas par masochisme.
Contre toute attente, cette musique m’a touché.
Et des qualités mélodiques qui m’ont surpris. Loin d’être répétitive et lassante, l’œuvre de VOID OF SILENCE m’évoque à maintes reprises un PINK FLOYD écrasé de douleur poussant encore plus loin dans sa noirceur le concept schizophrénique de THE WALL. Les riffs gutturaux de la guitare peuvent s’effacer devant la partition diaphane d’un piano tandis que le tempo s’accélère sous les coups du batteur, donnant l’illusion que l’espoir n’est peut-être pas loin. Mais il n’aura pas droit de cité bien sûr…
Pourtant les multiples variations proposées dans l’utilisation des instruments entretiennent cette illusion, et c’est bien ce qui rend la musique de VOID OF SILENCE si passionnante, parvenant à surprendre sans cesse, alors que l’on connaît déjà l’intrigue.
Œuvre palimpseste si vous choisissez de graver votre propre douleur sur la musique de VOID OF SILENCE.
Œuvre catharsis si elle vous permet le difficile exercice de l’introspection  et de mettre un nom sur votre peur et de vous en délivrer.
Ceux qui auront aimé se désespérer dans HUMAN ANTITHESIS, leur précédent opus, trouveront ce nouveau VOID OF SILENCE plus assagi, plus accessible. Si c’est vrai sur la forme, sur le fond, les abysses d’une noire mélancolie sont bien toujours là.


Finir sur une note moins pessimiste? Allez, si…Et si, sur la stèle - qui ne serait plus funéraire du coup, mais en forme d’hommage à notre civilisation, l’artiste avait voulu plutôt graver ceci: L’homme civilisé est-il comblé?
….

0 Comments 15 décembre 2010
Whysy

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