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Au milieu des années 1980, Judas Priest est LA Légende vivante et fondatrice du Heavy Metal. La formation créée en 1973 peut se prévaloir de trois disques monumentaux qui ont largement contribué à forger le heavy métal tel qu‘on le conçoit: British Steel, Screaming For A Vengeance et Defenders of the Faith sont les pierres angulaires qui ont défini un son, une musique, un style et chacune de ces pépites a été récompensée d’un disque platine à une époque où il fallait un million d’exemplaires pour atteindre ce statut. Les Britanniques sont devenus les leaders seulement contestés par Maiden d’une scène, d’un genre et même d’une musique alors en pleine ascension. Cependant le statut cultissime du groupe ne doit pas occulter une profonde mutation de la scène métallique en pleine effervescence au tournant des années 1980. Les jeunes loups trashisants, ou speedant sont déjà à l’œuvre et vieillissent grandement les fondateurs du genre qui se voient doubler aussi par la droite avec la scène glam/sleaze, Hard Us qui déferlera sur la seconde moité des années 1980 au point de les incarner. La musique devient visuelle, les clips deviennent un passage obligé et les sonorités évoluent avec l’apparition du synthétiseur.

Dans ce contexte bouillonnant de l’âge d’or, les Britanniques au sommet de leur renommée continuent de s’adapter à leur époque comme ils l’ont toujours fait (confer le psychédélique Sad Wings of Destiny et le bourrin quasi death Jugulator)et décident de frapper un grand coup par la publication d’un double album audacieux qui reprendrait la face heavy traditionnelle et puissante du groupe mais qui serait complété par un album plus en phase avec l’air du temps. Un album qui présenterait un certain désir d’évolution afin d’élargir son audience, de développer de nouvelles thématiques avec la volonté de moderniser son propos en intégrant les nouveautés récentes du genre (et l'effet synthétiseur sur les guitares jusqu'ici tranchante de Tipton et Downing).

Judas Priest cède t’il à la facilité en voulant élargir son audience? Peut -on parler de démocratisation ou de vulgarisation de la musique du Priest? L’envie légitime de nouveauté fut tellement forte que le projet du double album fut abandonné au profit de la parution en 1986 de l’album le plus Fm (le plus doux?) du Priest, Turbo.
L’initiative est louable mais le résultat semble mitigé . Le souci de toucher un public jeune et adolescent a poussé la formation a développé des sujets légers sur un rythme plus accessible et donc ralenti qui s ‘éloigne de leur métal sidérurigique et speed (Freewhell Burning). Et cette évolution, qui a très mal vieilli est difficile comme en décalage avec l’Histoire du groupe. Comment peut-on être indulgent avec des titres assez mièvres qui reprennent les thématiques préférées et fortement calibrées des radios US , produits sur commande pour une jeunesse estudiantine insouciante et festive?? . Les paroles s’infléchissent vers des préoccupations collégiennes et un tempo plus souple plus rock, très typé hard Us gentillet(le très rock Parental Guidance, Rock You all Around the world,Out in the cold et sa reprise a capella si prisée par ce style) s'imposent sur l'ensemble de l'album.
Pour les métalleux inflexibles qui avaient proclamé leur foi inébranlable dans le métal sur l’album précédent, Defender of the Faith tout de même, parler de parents trop lourds qui demandent à ce qu’on baisse la musique ou une ballade mielleuse après une séparation ne peut qu’exaspérer. Non mais sérieux comment être crédible quand, à plus de trente cinq ans, Rob Halford s’époummonne:" We don’t need no, oh no nono, no parental guidancehere!" ???

Si les nouveautés textuelles sont très contreversées, le pari osé du changement trouve cependant une réussite pour sa propension à intégrer les claviers, des sonorités plus modernes et électroniques (dans le sens de 1986) sur Turbo Lover, le tube étincelant éponyme dont le refrain « I’m your turbo lover, tell me there’s no over » rappelle que l’amour charnel doit pour atteindre l’extase paroxystique du plaisir se conjuguer avec une certaine performance physique de durée, celel d'un marathon de l’amour!! C’est un pur hymne (comme Hot For Love)à l'hédonisme festif et léger des années 1980. Les qualités d’écriture transpirent de tous les titres, Halford, Downing et Tipton composent avec talent. Le titre Rock you all around the world de facture plus classique dans une veine Hard Rockisante enlève tous les suffrages et et si les titres les plus typés sont caricaturaux (Parental Guidance, Out In the Cold), le métissage est bien plus spontané et naturel quand les morceaux reprennent des éléments de modernité (Turbo Lover) sans en travestir le fond.

La volonté d’ouverture et de rajeunissement du propos s’illustrera avec des clips madmaxiens improbables rétrospectivement (mais à l’époque il y avait une vogue de l’univers post nucléaire avec les sagas Mad max, l’arrivée des Mangas, la publicité Perrier de John McEnroe… c'était les derniers feux de la guerre froide)Turbo Lover et surtout, surtout: Locked In. Jetez y un oeil, amis lecteurs, et vous verrez un chef d'oeuvre d'esthétique 1980 avec le groupe grimé en motards survivants devant délivrer Rob Halford de beautés choucroutées anthropophages. Tout est énorme dans ce clip, le scénario, le jeu d'acteurs (Tipton qui retire une plaque d'égout!), les effets spéciaux (le robot): la quintessence du kitsch élevé au rang de chef d'oeuvre.

Le pari fut osé mais réussit à court terme. La tournée de promotion de cet album fut la plus grande, la plus colossale du groupe avec un décor pyrotechnique, des machines titanesques en plus des traditionnelles motos de rappels. Rob Halford arbore même, et pour la dernière fois, une crinière blonde péroxydée de toute beauté. Le succès immédiat et immortalisé par Priest… Live (peut être le moins bon des Live du groupe) divisa cependant les fans entre les conservateurs irrités par cette évolution et un public élargi qui donnera aux Britanniques leur dernier grand succès commercial.

Turbo est une expérience à part dans la discographie du Priest. Issu d’un projet avorté d’un double album (dont les chutes de studio agrémenteront en bonus les rééditions remastérisées des années 2000, avec un All Fired Up rutilant et mécanique ici), il incarne un risque contrôlé mais courageux que n’ont pas pris d’autres légendes.

0 Comments 05 juillet 2013
Whysy

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