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Au fil des années, et au fur et à mesure des changements de line-up, Borknagar est en train de devenir un all-star band du black metal norvégien. Jugez plutôt : sur leur dernière livraison, Urd, à paraître prochainement, nous avons le plaisir immense d'entendre aux guitares Oystein Garnes Brun, le maestro, compositeur et âme du groupe, accompagné de son comparse Jens Fredrik Ryland. Aux claviers, chant et composition, Lars Are « Lazare » Nedland, dont les frottis d'orgue Hammond ont également fait le bonheur du groupe avant-garde Solefald qu'il a formé en 1995. A la basse et au chant, la star Simen « I.C.S. Vortex » Hestnaes, ancien membre des légendaires Arcturus et Dimmu Borgir, qui a récemment publié son premier effort solo. Au chant principal, enfin, le suédois Andreas « Vintersorg » Hedlund, dont la liste des projets est longue comme le bras, mais on notera surtout son propre groupe Vintersorg, son duo avec Oystein G. Brun Cronian et enfin Otyg et Fission.

Le batteur de studio, David Kinkade, ayant rejoint Soulfly, il fallait donc un remplaçant, et là, une fois n'est pas coutume, les Norvégiens se sont adjoint les services d'un inconnu ! Baard Kolstad, jeune prodige local et champion du monde de batterie dont les ébats percussifs sont visibles sur la toile, a donc intégré les Harlem Globe Trotters en début d'année, après avoir été « découvert » par Vortex. Mais le son, me direz-vous ? Parce que c'est bien joli les stars, mais ça fait pas une équipe, demandez à Vanderlei Luxemburgo, il en connaît une tranche ! Eh bien n'en déplaise aux afficionados du centre de formation, avec Urd la formule fonctionne à merveille ! Il s'agit même, à mon humble avis, du meilleur album de Borknagar depuis Empiricism.

Dans le passé, et notamment sur des albums moins exceptionnels (Epic et Universal par exemple, mais ce n'est que mon avis), Borknagar avait un peu tendance à se laisser emporter par son souci de juste milieu entre black violent et forte dimension mélodico-épique. Au final, il a pu arriver, et c'était même assez marquant sur Universal, que l'auditeur, à l'image du groupe, se retrouve le cul entre deux chaises, et que la machine semble presque tourner en rond. Il manquait aux Norvégiens un album fort, qui comporte en son sein des morceaux puissants capable de lui faire dépasser cette douloureuse question, évoquée par Ryland dans l'interview qu'il nous a accordée : comment faire du black mélodique et bien produit, puisqu'avant tout, à l'origine, le black est bruitiste et mal foutu ? A écouter le sympathique guitariste, on constate que la réponse s'est trouvée d'elle-même. Comme attiré dans une direction inévitable, le groupe s'est éloigné du black, a adouci son propos, mais en s'éloignant tout autant d'un aspect trop surproduit et en évitant, cette fois, le piège du prog qui tourne à vide. Urd est donc un album très mélodique, parfois heavy, et qui ne contient à vrai-dire qu'un seul grand morceau de black épique à l'ancienne, The Winter Eclipse, la pièce-maîtresse de l'album, sur laquelle je reviendrai plus tard.

Mais commençons par le commencement. Urd, dans la mythologie nordique, est l'une des trois Nornes, sortes de Pythies chargées entre autre d'arroser Yggdrasil. Il s'agit également, vous l'aurez compris, du neuvième album studio de Borknagar. Composé de neuf morceaux, dont sept ont été écrits par Oystein, il oscille entre un heavy/black mélodique racé et complexe, et quelques moments plus bourrins de double pédale assez jouissive. La grande réussite du groupe est d'avoir su, au milieu de cinq chansons de très bonnes facture flirtant avec l'excellence et d'un instrumental simple et beau, intégrer à leur album les trois grosses locomotives que sont The Beauty Of Dead Cities, Frostrite et The Winter Eclipse. Attardons-nous sur ces trois chefs-d'oeuvres.

Il est à la fois intéressant et troublant de noter que sur ces trois morceaux, The Beauty Of Dead Cities (Lazare) et Frostrite (Vortex) n'ont pas été écrite par Oystein, et que The Winter Eclipse est probablement le meilleur morceau qu'il ait écrit depuis Gods Of My World. Je signale pour ceux que ça intéresse que mon podium des morceaux du groupe a été réactualisé depuis que j'ai Urd entre les oreilles et qu'il se compose de la façon suivante, dans l'ordre : Gods Of My World, The Winter Eclipse et Oceans Rise. Et pourtant je suis pourtant du genre puriste. Mais il faut l'écouter pour y croire vraiment, ce morceau tient de la magie.

Reprenons. The Beauty Of Dead Cities, après deux morceaux très bons mais assez classiques, surprend. Il est l'oeuvre de Lazare, et se distingue surtout par une part dantesque de Hammond qui ne fait qu'ajouter à la dimension épique du morceau. Varié et changeant, c'est sans doute la pièce la plus prog de l'album, la double-pédale est discrète, et les choeurs, nombreux, sont dans le pur style Borknagar. Brusquement, le groupe hausse le ton, comme s'il était temps d'arrêter de rigoler, et nous rappelle que malgré une décennie quelque peu décevante, il est loin d'en avoir fini avec nous.

Il faut attendre Frostrite, trois morceaux plus tard, pour que cette impression de génie se remette à sonner le tocsin. Mais de quelle façon ! Vortex y est au sommet de son art : rapide, enlevée, encore une fois variant les ambiances, cette pièce nous emmène du speed-mélo à des solos de purs heavy sans que l'auditeur n'ait une seule fois l'impression qu'il a changé de groupe. Et ce refrain ! Il faut entendre la voix de Vortex, haut perchée et parfois superbement doublée, c'est une pure jouissance. La qualité des voix est sans aucun doute une des forces majeures du groupe et de cet album.

C'est sur The Winter Eclipse que l'on entend la quintessence de Borknagar, et que le black-metal épique fait un retour fracassant. Les grands amateurs d'Emperor y verront un analogie assez saisissante avec le groupe légendaire si souvent cité en exemple, que ce soit dans les alternances caractéristiques entre parties criées et choeurs, ou dans le riff typique de l'intro. Mais la touche Borknagar est là : la voix de Vintersorg, les arpèges d'Oystein, et les contre-chants de claviers superbement tissés par un Lazare en grande forme. Le ton s'est soudainement durci, les riffs sont plus violents et Kinkade se déchaine. Mais c'est surtout lors du superbe solo de Jens que l'on se rappelle à quel point les années 90 furent un terreau de talents dans cette région du monde, loin de se limiter à des borborygmes de fond de cave.

L'instant magique, le point culminant de l'album et l'un des sommets de la carrière du groupe intervient juste après ce solo très Ihsahn-esque. Le tempo est ralenti, l'ambiance se calme et sur un fond discret de synthé, le maestro Oystein G. Brun entre en scène, délivrant une des parties de guitare dont il a le secret, toute en simplicité, soutenue magistralement par une suite d'accords magnifiques. Ce passage plus doux, qui évoque grandement With Strengh I Burn dans son esprit, est repris plus tard, agrémenté des choeurs de Vintersorg, comme pour nous signifier que là c'est Borknagar qui joue, et que même si le moment est sublime et sonne comme un hommage, il s'agit bien de matériel inédit.

Comprenez-moi bien, l'immense qualité de ce morceau ne réside pas dans sa ressemblance plus ou moins lointaine avec Emperor, et pour alléger le poids éventuel de cette comparaison rappelez-vous que je suis un ultra de la bande à Teitan. The Winter Eclipse est une prouesse, mais il serait injuste de réduire l'album à cette pièce de black épique, car cela ne serait plus assez révélateur du véritable esprit de Urd : variété et fraîcheur, sans jamais se départir du sceau Borknagar, à savoir puissance et qualité de son.

Sans avoir perdu ses qualités principales, le groupe a retrouvé enfin ce qui faisait sa force au tournant du siècle : de grands morceaux, et une certaine homogénéité, ce qui reste un tour de force quand on considère son line-up hétéroclite et la variété des influences qui l'habitent. Si j'avais un souhait, ce serait d'entendre plus de morceaux de Lazare ou de Vortex sur le prochain album, en espérant que pour cette fois le groupe restera stable.

0 Comments 21 mars 2012
Whysy

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