Vous recherchez quelque chose ?

Trente-cinq ans après Never Say Die, Tony Iommi, Geezer Butler et Ozzy Osbourne reviennent avec un nouvel album de Black Sabbath, dont le titre misérable (13) n'est heureusement pas représentatif du niveau de créativité et de crédibilité de l'ensemble des huit morceaux qui y sont présents.

A vrai dire, il n'y avait qu'un seul élément capable de transformer n'importe quelle démo pourrave en chef d’œuvre, qu'une seule interrogation fondamentale : le niveau de forme d'Iommi, et sa performance sur 13. C'est pourquoi c'est avec la plus grand joie que je vous annonce que le Riffmaster pète le feu, que le plus grand est toujours le plus grand, que seuls dans leurs rêves Wylde et consorts n'égalent Iommi.

Il est tout simplement démentiel, planant loin au-dessus de la mêlée, lâchant ses riffs d'airain sur les foules ébaubies que nous sommes, parsemant de délicates gouttelettes corrosives les toiles qu'il a habilement tissées. Tony Iommi, le guitariste de metal le plus influent de l'Histoire, touché par cette salope de crabe en 2012, est un putain de phénix, et il ne mourra jamais, jamais. Ses doigts fiévreux, mutilés en 1965, ont depuis engrangé près de cinquante années de revanches par K.O. face à la machine qui l'avait rendu muet, avant de le forcer à libérer sa personnalité de guerrier d'acier au service de riffs métalliques : 43 ans après le premier opus éponyme, sa Majesté Tony nous offre avec 13 une performance digne de lui, digne de Black Sabbath.

Il en est tout autrement d'Ozzy, évidemment. Car les cordes vocales sont le genre d'organe que cinquante années d'excès alcooliques et narcotiques dans des proportions gargantuesques ne peuvent en aucun cas laisser indemnes : la voix d'Ozzy est fatiguée, parfois pâteuse, et ce qui était un cri halluciné en 1970 est aujourd'hui un râle grinçant. Ce n'est pas pour autant une perte, certains morceaux se marient plutôt bien à sa nouvelle voix. Je dis bien « nouvelle voix » car la dernière fois qu'on a entendu Ozzy chanter sur un album de BS, il s'égosillait à qui mieux mieux, même si Never Say Die est loin d'être la référence en matière sabbatique. Il apparaît que les morceaux ont été arrangés et les lignes de chant adaptées pour donner à Ozzy la possibilité de chanter dans son médium actuel, c'est à dire sur des tonalités assez graves, notamment pour qu'il puisse les chanter en concert sans difficulté. Intention louable, et qui donne des résultats éblouissants de noirceur et de sensation d'écroulement interminable, martelés par l'excellente doublette Geezer Butler/Brad Wilk et ciselés par le producteur Rick Rubin. Eh oui, vous l'aurez remarqué de suite, Bill Ward n'est pas dans le coup, et c'est fort regrettable. Personne ne sait exactement ce qui a poussé ce triste sire à lâcher l'affaire, l'excuse officielle étant des raisons contractuelles. Quelles raisons contractuelles ont pu pousser quiconque à refuser de participer à la réunion du plus grand groupe de metal, je me le demande. Quoi qu'il en soit, laissons Ward où il est, j'espère qu'il aura regretté amèrement son refus après avoir écouté 13 et revenons à Ozzy.

Si la lourdeur des atmosphères mélodiques qui empoisonnent l'album sied au timbre du Prince des ténèbres version 2013, elle n'est pas toujours à l'avantage des morceaux en eux-mêmes, ce qui donne sur certains passages des résultats mitigés. Autant on tutoie les sommets avec God Is Dead ?, l'incroyable single de l'album, ahurissant de puissance et de sobriété, autant la lenteur/lourdeur du groupe s'apparente parfois à de la mollesse. Prenez Loner, un mid-tempo basique, un riff puissant sans être vraiment destructeur, et la voix mi-figue mi-raisin d'Ozzy qui vient encore alourdir et ramollir l'ensemble. Le même morceau, chanté par Dio, aurait été un brûlot, mais ce n'est pas la peine d'insister puisque Ronnie est mort, et qu'il faut faire avec Ozzy, avec lequel il ne sert pas à grand chose de regretter, le fou furieux qui hurlait à la mort sur Sabbath Bloody Sabbath ne reviendra pas non plus. Il aurait peut-être été plus malin de privilégier les morceaux véritablement axés BS première période, les longs développements aux couleurs d'outre-tombe. Heureusement, Iommi est là, et il sauve tout et tout le monde et même Loner, ou presque.

Au chapitre des semi-déceptions on trouve également Live Forever, un morceau sympathique, entraînant mais qui n'a guère à défendre, hormis un bon petit solo des familles. Mais là, encore une fois, Ozzy me saoule, et son but I don't wanna live forever sauve à peine sa prestation.

Et puis, voilà, c'est tout, le reste n'est que légende, ténèbres et fantaisies fabuleuses, une fois expurgée de ces deux cahots 13 est une œuvre concrète, globale et cohérente, et le Grand Architecte Iommi en est en grande partie responsable. Si c'est lui qui a su maintenir le groupe sur la route lors des moments de faiblesse, c'est bien entendu lui encore qui va le porte au pinacle du heavy-doom sur les chefs d’œuvres que sont End Of The Beginning, God Is Dead ?, Zeitgeist, Age Of Reason et Dear Father, dont seul l'acoustique Zeitgeist ne dépasse pas les sept minutes au compteur.

Et vous allez constater qu'Ozzy, quand il est porté par une rythmique de feu et des riffs de grand saigneur, se métamorphose pour redevenir un peu le dangereux lunatic qu'il était au début des seventies, au lieu du papy bourré devant l'émission minable duquel on a pu s'apitoyer pendant des années. Fini le père indigne, envolé le Jean-Claude Van Damme de Birmingham, voici le retour du Godfather of Metal en chair et en os. Ou presque. Parce qu'il a toujours ce timbre de Père Noël sous ecsta, mais ça tombe bien, Iommi n'est pas né de la dernière pluie et il a sans doute écouté les purges abominables qu'étaient ses récents efforts solo, donc il lui a concocté des morceaux sur mesure, lents, abominablement graisseux, interrompus par des giclées métalliques du meilleur effet.

Courte parenthèse : oui, purge, étron, raclure, ce que vous voulez, j'aimais bien les albums solos d'Ozzy et puis j'ai découvert Sabbath Bloody Sabbath.

Bref, quand la musique est bonne, Ozzy le sent et se transcende, livrant des performances mirifiques sur God Is Dead ? et l'incroyable Age Of Reason par exemple, dont je reste encore sous le charme absolu. Ce refrain, mes amis, Iommi ne mourra jamais, jamais. Mais tout l'album est à l'avenant, du moins sa face sombre. On redécouvre avec délices cette facette de Black Sabbath qu'on avait presque oublié, après les (merveilleuses) années Dio, les (sans commentaire) années Gillian et les (très inégales) années Martin, ce qui avait grandement contribué à asseoir leur réputation, faisant d'eux dès le début bien plus qu'un groupe qui joue très fort. Black Sabbath joue une musique maléfique, ils sont en ligne directe avec Satan, même s'ils ne prêchent pas son avènement : c'est un groupe noir, sombre et occulte, le premier du genre, et cette profondeur thématique avait été laissée de côté dès le milieu des années 70, même alors qu'Ozzy était encore là. Loin de moi l'idée de critiquer Heaven & Hell et The Mob Rules que je vénère, ou Dehumanizer que j'adore, Black Sab ne nous offre pas aujourd'hui son meilleur album depuis 1974 faut pas déconner non plus. Mais c'est vrai qu'on retrouve sur 13 ce sentiment d'oppression, d'étrangeté dérangeante qui n'existait plus vraiment dans le groupe.

C'est l'alchimie entre les trois membres fondateurs du groupe qui permet ce résultat, même si Iommi en est sans conteste le principal moteur. Je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur 13, un album magnifique, puissant et catatonique, dont les faibles et rares variations sont autant de joyaux sur la couronne du Prince des Ténèbres qui semble avoir enfin retrouvé son Roi. N'est-ce qu'une parenthèse enchantée, un cauchemar hideux, maléfique et délectable, ou peut-on espérer une suite à ces exceptionnelles retrouvailles ? La santé de Tony Iommi sera la réponse à cette question. Espérons tout de même que s'il y a une prochaine fois ils auront plus d'imagination pour le titre de l'album, mais sauront garder l'essence de Black Sabbath et le battement rocailleux qui cogne tout au long des pépites que contient 13.

0 Comments 16 juin 2013
Whysy

Whysy

Read more posts by this author.

 
Comments powered by Disqus