Par une belle matinée d’été, voici que le premier album d’un obscur groupe russe arrive dans ma boîte aux lettres, et sollicite mon attention pour une chronique. « Tiens, tiens, qu’avons-nous là… ». Un digipack élégant autant que sobre et dépouillé, une présence sur Internet des plus discrètes (pas de myspace, un site se résumant à une biographie expéditive seulement rédigée en russe), aucune photo promotionnelle des membres du groupe… Evoke thy lords, formé en 2002, semble décidément tenir beaucoup à son aura d’épais mystère. Ce qui convient ma foi fort bien à ce combo qui base tout son univers sur les récits fantastiques du célèbre romancier américain Lovecraft, et intitule son album « Escape to the Dreamlands ». Puisque la sibylline invitation est si gracieusement lancée, autant tenter cette expérience et découvrir à quoi peut bien ressembler la musique qui se cache derrière tout ce mystère.


Et voici un nouvel album qui confirmera tout ce que je pensais du Metal venu de l’Est, et plus particulièrement de Russie. A savoir que depuis quelques années maintenant, on voit de plus en plus de groupes venir de ces terres lointaines, et qu’ils semblent avoir leur propre définition de la musique Metal. J’entends par là qu’Evoke Thy Lords, comme pas mal d’autres avant lui, mélange si bien ses influences que l’on peine à savoir à quel style le rattacher. « Gothic Doom Metal » dixit la présentation. Personnellement, je les rangerais plutôt dans le « Dark Metal mélodique », car les influences Doom restent assez lointaines…

« Escape to the Dreamlands » propose en réalité un patchwork musical qui, malgré sa relative complexité, surprend par sa qualité et sa cohérence. Chant féminin aérien, élégant, lyrique sans tomber dans les travers du genre, grognement death convainquant et jamais agressif, riffs heavy, rythmiques efficaces et solides, soli, atmosphères gothiques…. Plus des parties de clavier et même de flûte à foison ! Vous l’aurez compris, l’univers du groupe est difficile à pénétrer. D’autant plus que malgré la présence d’interludes atmosphériques qui aèrent l’ensemble, les enchaînements de pistes se font si naturellement que le côté homogène de l’opus transparaît beaucoup plus… Le mélange d’influences ne choque pas outre mesure, mais sans non plus s’aventurer dans le domaine pur du progressif, il faut avouer que ses structures sont difficiles à assimiler et à décomposer. Autrement dit, l’inspiration est bien là, impossible de nier les qualités d’écritures, mais le groupe peine terriblement à attirer l’attention.

L’introduction de « Towards Yuggoth », par exemple, est plutôt prometteuse, mais l’entame du chant donne un côté terriblement amateur à un groupe qui manque encore d’envergure pour réussir à imposer son nom sur une scène déjà largement encombrée. Il faut attendre le milieu de l’album pour que l’attention s’éveille enfin, avec l’enchaînement brillant de deux excellents titres, « Daemonolatry », qui dispose d’un final accrocheur, et surtout « The Prophecy : Rising Chaos », qui propose des accélérations salvatrices, des parties de clavier et de basse très marquantes et des soli endiablés ! Une belle surprise, qui promet davantage pour l’avenir du combo. Comme quoi, le potentiel d’accroche est déjà là aussi…


En gros, on a là un album très agréable en soi, techniquement irréprochable, avec de bonnes mélodies et un univers de référence relativement évocateur, mais qui n’a rien d’exceptionnel, dans la mesure où il n’arrive pas à tirer un bon parti de sa relative originalité. On aurait définitivement aimé plus d’audace et de parties accrocheuses…. Ainsi, le groupe aurait pu fièrement passer de la catégorie des « sympa, mais sans plus », à celle des « qui valent d’être connus ». En gros, ben… voici un album de Gothic Metal original que l’on peut recommander, mais sans grande conviction… Car Evoke Thy Lords, malgré ses évidentes qualités et sa bonne production, pêche par son uniformité et son manque cruel de prises de risques. J’ose espérer que le groupe osera mieux affirmer son identité à l’avenir… Peut-être la prochaine fois ?


Gounouman