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Comment un fan ultime de black metal occulte tel que moi, adepte de la philosophie sataniste, athée, anticlérical et fier de l'être, peut-il se retrouver à chanter à tue-tête « Jesus is my lifeline » (Jésus est ma bouée de sauvetage)? Comment expliquer un cœur hérétique qui vibre en entendant « Lord show me the way home »? La réponse est simple mais il fallait le savoir: c'est la magie de Neal Morse, tout simplement.

En dépit du fait qu'il ait eu l'idée pathétique de chanter l'amour qu'il éprouve pour son dieu cet homme est un génie, un vrai, comme il en existe peu dans ce domaine. La pureté et la beauté de ses mélodies sont exceptionnelles, et pour comparer ce talent je suis obligé d'employer les grands moyens, et d'en appeler aux figures tutélaires que sont McCartney ou Brian Wilson. C'est simple: aucun équivalent dans le metal ou le prog moderne, il faut chercher du côté des grands de la pop comme Neil Hannon pour retrouver une telle aisance mélodique. C'est pour ça que cet homme mérite un panégyrique, car évidemment l'intérêt des histoires qu'il raconte se limite aux seuls croyants (vous allez me dire c'est déjà pas mal), et le metal/rock prog développé dans ces albums ne vaut pas celui d'un Beardfish ou le Spock's Beard de la grande époque. L'homme est claviériste avant tout, ceux qui aiment les claviers seront donc servis. Il y a dans cet album une atrophie au niveau des solis de guitare électrique par exemple, et l'ensemble des mélodies est tourné vers une seule direction: crier l'amour, le chanter avec une joie immense et un optimisme frisant la naïveté.

C'est en quelques sorte un avertissement amical que je vous adresse: si vous détestez les Beatles et adorez les Stones, vous allez honnir Neal Morse. Si vous êtes plutôt Cradle que Within, Lifeline risque de vous laisser de marbre. Mais si, comme moi, vous êtes amoureux des belles mélodies sans être trop regardant du contexte, et si vous aimez les sons bizarres un brin cheesy, vous trouverez que Lifeline est un album merveilleux. Laissez-moi vous conter l'histoire de ce pur moment de bonheur.

Basé sur une sorte d'alternance, cet album enchaine les morceaux épique et les ballades. Lifeline, en ouverture, est un hymne, une ode aux mélodies grandiloquentes et aux moments de bravoure nombreux et exaltants. Déjà les références au prog que l'on aime sont fréquentes, et la splendeur et la majesté des arrangements se marient à la voie unique de Neal, qu'il utilise de toutes les façons possibles, mais souvent doublée ou avec des choeurs enthousiasmants. De nombreux moments plus techniques ou saccadés nous rappellent que l'homme était avant son départ le maître à penser du mythique groupe Spock's Beard, et que déjà au sein de sa première formation il aimait alterner l'épique et le plus simple. Ainsi le deuxième morceau, The Way Home, qui commence par un joli riff de guitare sèche, sera vu par les esprits chagrins comme une complainte hippie ridicule, mais de mon côté j'y vois une construction mélodique exceptionnelle, et surtout, encore une fois, la voix fantastique de Neal. Je rappelle aux bon souvenir des fans d'Ayreon l'époustouflant final de la première partie de Universal Migrator: eh oui, déjà, The First Man On Earth c'était lui, Neal Morse. S'il ne devait rester que lui je me considérerais comme chanceux, car on est sûr avec Neal de ne jamais s'ennuyer. Que ce soit lorsque qu'il développe certains aspects un peu plus agressifs comme sur Leviathan, sorte d'hommage au King Crimson des débuts, ou lorsqu'il fait à son tour preuve d'une inventivité certaine, comme sur So Many Roads, gigantesque pièce de trente minutes parsemées de cuivres, changements de tempi et d'ambiances, solos de Hammond en veux-tu en voilà et harmonies improbables.

Mais le sommet de son talent se situe lorsqu'il parvient, en un seul et court morceau, à condenser tout son potentiel créatif. The Children Of the Chosen est son explication même, l'essence de Neal Morse: un talent fou pour écrire de belles chansons. Honnêtement, même le fan le plus hardcore de Deicide ne saurait rester insensible face à tant de sincérité. Mais comment ça marche, malgré les thèmes abordés? C'est simple: j'étais justement, plongé au milieu du second couplet, en train de me dire que l'entrée de la batterie avait été remarquablement négociée, qu'il avait bien fait d'abandonner l'idée de mettre un coup de tambourin sur chaque temps (c'est plus lourd, un sur chaque contre-temps c'est bien meilleur), et que les trémolos de guitare hispanisante étaient du meilleur effet, quand je me suis rendu compte de ce qu'il venait de dire; Avais-je rêvé? Retour en arrière, et non, j'avais bien entendu, au même moment qu'un sublime et mélancolique son non identifié me rappelant presque U2 (argh), le Neal nous avait lâché une perle dont lui seul a le secret: God loves you and he wants you to be free.

Deux attitudes face à ce genre de moments, malheureusement fréquents sur cet album: le fan hardcore de Deicide sus-cité décide que la plaisanterie a assez duré et supprime séance tenante le fichier mp3 en question. Sinon, si comme moi on considère qu'en musique les paroles sont accessoires et surtout là pour que le chanteur puisse dire autre chose que la-la-la, on se dit que ce bon vieux Neal n'a sans doute pas toute sa tête, et qu'on lui pardonne puisque sa musique est géniale. On dit souvent que les génies sont un peu fous, et s'il vous fallait une preuve supplémentaire que le Morse en est un, vous l'avez.


Silvergm

0 Comments 23 février 2011
Whysy

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