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Cinq années après 01011001, Arjen Lucassen remet le couvert et nous propose un nouvel album d'Ayreon, avec l'ambitieuse volonté d'en faire un reboot général. La mode est aux recommencements ces derniers temps, principalement dans l'industrie du cinéma, il est temps de découvrir la pertinence de cette démarche et sa réussite, c'est ce qui nous intéresse en premier lieu.  Avant de rentrer dans le vif du sujet, faisons une rapide inspection des forces en présence. Pour The Theory Of Everything, il semble qu'Arjen ait décidé de simplifier son propos, et cela se ressent dans la liste des vocalistes. Sept seulement ont été conviés : Marko Hietala (Nightwish), Tommy Karevik (Kamelot), Cristina Scabbia (Lacuna Coil), JB (Grand Magus), Michael Mills (Toehider), Sara Squadrani (Ancient Bards) et John Wetton (Asia, King Crimson). On constate déjà qu'aucun de ces chanteurs n'avait auparavant collaboré dans Ayreon : exit les Simone et autre Floor, du neuf ! Hum. Enfin presque.  Presque parce que niveau musiciens, c'est la ronde gériatrique des idoles du prog, que je suis le premier à vénérer mais vous me connaissez, qui bene amat : Rick Wakeman (Yes), Steve Hackett (Genesis), Keith Emerson (ELP), que du lourd, du grand du grandiose, on y ajoute une pincée de Jordan Rudess et le tableau est presque complet. On notera le retour en grâce de Steve Hackett, qui depuis trois ou quatre années est de presque chaque album prog, gaffe à la surdose mais comme c'est un guitariste ça va, c'est moins visible que si on entendait Russell Allen dans un album de heavy-prog sur deux. Oups, j'ai gaffé.  Un peu de nouveauté donc, du neuf avec du vieux sans mauvais jeu de mot (en fait si, y en a un), penchons nous donc sur le thème de The Theory Of Everything. Exit la science-fiction, bienvenue dans le riant domaine de la science dure, la mécanique quantique, de quoi égayer vos longues soirées d'hiver. [Attention Spoilers] L'histoire est celle du Prodigy, un génie autiste qui se fait repérer par son professeur et droguer à son insu par son père et un psy, le temps de découvrir la théorie du tout et de tomber dans une catatonie comateuse, après que son père se soit suicidé. [fin des spoilers] La théorie du tout, mythe post-einstein censé expliquer en une série d'équations les lois de la physique quantique, dont la théorie des cordes est à ce jour l'avancée la plus prometteuse. Du rire en barres.  Mais passionnant j'en conviens : The Theory Of Everything est donc un gros melting-pot entre The Big Bang Theory (l'humour en moins), Will Hunting (la dimension sociale en moins) et Fringe (les mondes parallèles en moins), mais avec de la musique en plus.  Et de la musique il y en a , c'est peu de le dire : 90 minutes pour être précis, à boire et à manger, mais tout de même, soyons honnête, de bonne qualité, et parfaitement produites. Quatre grandes parties sont présentées, découpées en... 42 morceaux, allant de 24 secondes pour le plus court, à 3'54 pour le plus long. A ceci j'aurais deux réactions. Déjà, Arjen, si je peux t'appeler Arjen, merci de lire mes chroniques sur Heavylaw, ça me va droit au cœur, je ne savais pas que tu maîtrisais le français. Mais tu es tellement fort, grand et beau, ça ne m'étonne même pas. Oui tu m'as lu, et tu as entendu ma complainte, et décidé pour me faire plaisir de ne pas nous proposer deux morceaux de quarante minutes. Neal Morse écoute un peu, on parle de toi. Mais quarante-deux morceaux Arjen, et ce sera mon deuxième point, à moins que ce ne soit un hommage à H2G2, était-ce vraiment nécessaire ? Ça ruine l'écoute, désolé, je regrette presque d'avoir autant insisté sur ce point dans mes chroniques passées parce que là j'ai un tout petit peu l'air d'un gamin capricieux, mais bon, assumons : 35 minutes, c'est trop, 2 minutes, ce n'est pas assez. Et oui, on parle toujours de musique.  42 morceaux, et presque autant de thèmes, comme on dit, un truc de ouf. La lisibilité d'ensemble de l'album ? Quasi-nulle pour le coup. Faut l'écouter une bonne dizaine de fois, avec le livret sous les yeux, sinon c'est incompréhensible. Mais une fois qu'on est bien dedans, avec les paroles et le texte d'explication, là ça peut devenir très bon ! Tout fait sens une fois qu'on a pigé le truc, mais présenter un album d'un tel hermétisme est loin d'être une qualité. J'ai bien compris, grâce aux déclarations d'Arjen dans le livret presse disponible avec la version de l'album que nous avons eu, que le bon sieur batave n'aime pas les ritournelles qui vous rentrent facilement dans le crâne, et aurait plutôt eu comme référence Tales Of The Topographic Ocean, célèbre double album de Yes réservé aux fans hardcore prêts à s'enfiler 80 minutes d'expérimentations sonores incompréhensibles et parfois sans queue ni tête. On en est loin bien sûr, puisque The Theory Of Everything possède une trame, un squelette narratif, qui, si vous n'avez pas les paroles sous les yeux, sera lui aussi totalement hermétique. Pour vous dire, j'ai attendu trois ou quatre écoutes avant de me plonger dans les paroles (j'avais donc écouté Ayreon 168 fois dans l'intervalle, Arjen, mes stats LastFM te remercient de les avoir trollées), et j'avais bien compris que c'était un reboot de Will Hunting avec des médicaments bizarres, mais en découvrant le livret j'ai réalisé que je n'avais pas pigé grand chose. Il manque un narrateur à The Theory Of Everything, pour le rendre plus compréhensible. Ou alors est-ce la parade façon Arjen au téléchargement illégal : si vous voulez apprécier cet album, il vous faudra les paroles et les explications du maestro.  Paradoxalement, une fois l'histoire bien digérée, on se rend compte qu'elle ne tient pas sur grand-chose, voire même qu'elle est un peu faiblarde, et les éventuelles réflexions sur l'autisme ou le génie (à l'intérêt déjà limité) que pourrait apporter l'album ne sont que très peu développées. A la limite, une fugace dénonciation de l'acharnement parental, et encore, un concours de mini-miss aurait été un sujet plus approprié, ou alors l'attitude particulièrement peu professionnelle du psy, qui propose des drogues expérimentales, normal. C'est très américain dans l'ensemble, peut-être est-ce volontaire je n'en sais rien, l'accent est mis sur les émotions des protagonistes : si j'étais gentil je vous dirais que ça fait Broadway, mais comme je suis un enfoiré vous saurez que ça m'a surtout fait penser à du Dove Attia. Un album très narratif donc, ce qui peut s'avérer assez pénible, tant le tout semble tendre vers un but et quand on ne le saisit pas encore, ce but, c'est parfois chiant à entendre tant il faut se concentrer, et quand enfin on a comprit l'intérêt de l'album, la banalité de certains dialogues devient une véritable entrave à la qualité de l'écoute.  Et la musique, alors ? Eh bien, la musique est bonne, bien sûr. Enfin, presque.  Entrer dans les détails serait long pour moi comme pour vous, je n'en retiendrait que deux ou trois : l'amusante intro de basse directement héritée du Raven d'Alan Parsons, le magnifique thème du dialogue Teacher/Prodigy, et puis aussi le sublime The Parting (saccades rythmiques magistrales, solo de Hackett à pleurer), toutes les interventions de Wetton dans le rôle du psy (un psy assez peu éthique, à l'américaine) ainsi que celles de Wakeman sont magnifiques, et l'apparition fugitive d'Emerson nous laisse un fort goût de revenez-y.  Les détails sont ainsi fréquemment intéressants et forts goûteux, mais dans l'ensemble, c'est trop pauvre. Premièrement, ces détails ne se marient que peu, formant une mosaïque dont il est difficile de suivre la trame. C'est trop long, trop varié, trop peu explicite. Et deuxièmement, ces détails sont souvent noyés dans une masse de tics déjà entendus mille fois, je ne vous refais pas le coup de la chronique de Lost In The New Real mais c'est ainsi, souvent, trop souvent. En fait, ça manque de tubes, tout simplement. Ça manque cruellement de morceaux que t'as envie de réécouter vingt fois (hormis The Parting qui est au-dessus du lot), il n'y a pas assez de moments où tu t'écries « Putain mais c'est génial », le sourire aux lèvres. Pour vous dire, quand j'en ai eu marre de réfléchir je suis aller faire un tour du côté du nouveau Turisas, un album que l'on pourrait difficilement imaginer plus éloigné, et j'ai adoré, c'était frais, entraînant, simple mais bon, bref, c'était bandant (c'est le cas de le dire, allez donc faire un tour du côté de Run Bhang-Eater, Run, bande de petits pervers polymorphes), bref, assez de Turisas on en reparlera mais c'était pour vous faire comprendre que ce Theory Of Everything vous allez peut-être l'apprécier, mais y a peu de chance qu'il vous fasse jubiler.  Je l'adore cet album, c'est simple, mais je suis un fan, donc pour Arjen c'est facile de me contenter, il appuie sur les bons boutons et je démarre, et oui, on parle encore de musique. On a un peu parlé de sexe juste avant, si vous avez suivi. Mais il n'est pas vraiment réussi ce Theory Of Everything, son tronçonnage lui nuit et l'absence de locomotive le dessert fortement. J'avais très envie de lui mettre un 8 mais à son âge et vu sa carrière, c'est dur à dire mais Arjen ne mérite plus les encouragements. Il faut choisir maintenant, soit il se renouvelle au risque de maltraiter sa fanbase (tant pis pour ceux qui ne suivront pas j'ai envie de dire), soit il nous pond chaque année presque le même album, et ce sera un 7 de neutralité éthique pour encore longtemps.

0 Comments 12 octobre 2013
Whysy

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